Décrochage

Censure à la chinoise

Les bannières de la peur

Par Roxana Azimi · Le Journal des Arts

Le 17 février 2010 - 607 mots

L’École nationale supérieure des beaux-arts de Paris a censuré, dans le cadre d’une exposition, deux bannières de l’artiste chinoise Ko Siu Lan détournant l’adage de Nicolas Sarkozy « Travailler plus pour gagner plus ». Après un début de polémique, le ministre de la Culture est intervenu pour faire réinstaller l’œuvre sur la façade du bâtiment.

PARIS - La censure est bien la dernière chose qu’on aurait imaginée de la part d’Henry-Claude Cousseau, directeur de l’École nationale supérieure des beaux-arts (ENSBA) de Paris, traîné devant la justice pour avoir co-organisé l’exposition « Présumés innocents », en 2000, quand il dirigeait le CAPC-Musée d’art contemporain de Bordeaux. Il n’y a pourtant pas d’autres termes pour désigner le retrait de deux grandes bannières de l’artiste chinoise Ko Siu Lan. Celles-ci devaient figurer dans l’exposition « Un week-end de sept jours », organisée du 13 au 21 février à l’ENSBA dans le cadre d’un partenariat avec le Royal College of Art de Londres et le Lasalle College of the Arts de Singapour.

Les deux oriflammes installées sur la façade du bâtiment, quai Malaquais (6e arr.), portaient en recto verso les mots « Travailler », « Gagner », « Moins » et « Plus », détournement de l’adage sarkozyste « Travailler plus pour gagner plus ». Un communiqué publié le 11 février par l’ENSBA indique que l’accrochage s’est effectué en place des supports habituels d’information de l’établissement, sans que l’école en eût été informée. La direction prétend que la présentation non concertée de l’œuvre, sans explicitation à l’attention du public, porterait atteinte à la neutralité du service public et instrumentaliserait l’établissement.

« Je suis très surprise, nous a confié Clare Carolyn, commissaire de l’exposition et responsable adjointe du département Curating Contemporary Art du Royal College of Art. Henry-Claude Cousseau devait bien être informé de la teneur de la pièce puisque nous lui avions envoyé le PDF du catalogue la semaine précédant l’exposition. Il n’a alors pas réagi. Cette pièce avait été spécialement conçue pour être accrochée de cette manière. » Dans un courriel rapportant la décision de l’école à l’artiste, Clare Carolin lui avait expliqué que la direction trouvait « le travail trop explosif pour rester in situ et que certains membres de l’école et des personnes du ministère de l’Éducation s’en offusquaient déjà. » La direction lui aurait aussi précisé que l’institution se trouvait à un moment délicat, où elle devait renouveler sa convention de financement avec le ministère. Bref, des raisons fortes, étrangères à celles mentionnées dans le communiqué…

Réaction du ministre
Pour calmer le jeu, l’ENSBA a proposé de rapatrier la pièce à l’intérieur de l’exposition. « Je m’y refuse, c’est casser un travail d’art public. J’ai joué sur les différentes associations de mots qu’on peut faire selon l’endroit où l’on se trouve, nous a déclaré Ko Siu Lan. Si je mettais les bannières à l’intérieur, ce serait un objet d’art alors que je veux quelque chose qui agisse sur le quotidien des gens. » N’excluant pas une action juridique, elle ajoute : « Une fois, lors de la Biennale d’architecture de Pékin, j’avais proposé trois projets. On a refusé celui où j’avais marqué sur une bannière : “Ne pense pas trop.” Mais il n’a pas été écarté de manière brutale. Moi qui viens de Chine, je suis choquée qu’une censure se produise de manière aussi expéditive en France. C’est encore plus grave dans une école d’art, qui doit encourager la liberté d’expression et favoriser les expériences. » La voix de l’artiste n’a pas laissé indifférent le ministre de la Culture. Frédéric Mitterrand a demandé, le 13 février, que les bannières soient réinstallées, à la plus grande satisfaction de Ko Siu Lan.

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°319 du 19 février 2010, avec le titre suivant : Censure à la chinoise

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