ROME / ITALIE
De plus en plus d’entreprises utilisent le dispositif fiscal inspiré de la loi Aillagon, incitant l’État à ajuster celui-ci pour le rendre plus efficace.
« Il faut en finir avec la tradition stupide qui oppose le public et le privé, ne cesse de répéter le ministre des Biens et Activités culturels, Dario Franceschini. Les citoyens et les entreprises doivent comprendre qu’il faut qu’ils participent activement à la sauvegarde de notre patrimoine. » Une tâche immense à laquelle l’État ne peut pas faire face seul : la Péninsule, avec 51 sites inscrits au patrimoine mondial de l’humanité par l’Unesco, détient le record dans la catégorie. À cela s’ajoutent les quelque 4 400 musées et les innombrables églises.
En 2014, Dario Franceschini lançait donc l’« Art Bonus », un crédit d’impôt de 65 %, qui peut être déductible sur trois ans, pour les donations affectées à l’entretien et à la restauration d’œuvres d’art ou de sites archéologiques. L’Art Bonus concerne aussi le spectacle vivant, les théâtres et opéras ainsi que les productions audiovisuelles. Les sociétés de production étrangères, utilisant du personnel italien, peuvent même bénéficier d’un crédit d’impôt dans la limite de 25 à 30 % du budget global (avec relèvement du plafond de 5 à 10 millions d’euros par film).
Ce soutien au mécénat s’inspirait de la loi Aillagon adoptée en France en 2003. Elle permet à l’entreprise de déduire de son impôt 60 % du don effectué, dans la limite de 0,5 % de son chiffre d’affaires. Si le don finance l’acquisition publique d’un « trésor national », le taux est porté à 90 %. Enfin, l’achat d’une œuvre originale réalisée par un artiste vivant peut faire l’objet d’une déduction de 100 %, pour peu que l’œuvre soit exposée au public gratuitement pendant cinq ans.
Lors du quinzième anniversaire de la loi, Françoise Nyssen, alors ministre de la Culture, avait rappelé que 61 000 entreprises et plus de 5,8 millions de foyers fiscaux utilisent ces dispositions fiscales. Le volume global du mécénat en bénéficiant est passé de 1 milliard d’euros en 2004 à près de 4 milliards aujourd’hui.
Un bilan auquel s’est également livré Dario Franceschini pour les 5 ans de l’Art Bonus dont le montant de la dépense fiscale pour l’État est de 251 millions d’euros.« Je souhaiterais que maintenant une grande entreprise italienne se sente coupable de ne pas investir dans le patrimoine culturel du pays, a déclaré le ministre devant les députés. Le mécénat doit devenir un élément central pour évaluer la responsabilité sociale des entreprises. » Les chiffres sont cependant encourageants. En 2015 l’Art Bonus n’avait concerné que 773 mécènes et mobilisé 34 millions d’euros. Quatre ans plus tard ce sont environ 13 000 donateurs (48 % de banques et de fondations bancaires, 47 % d’entreprises et 5 % de citoyens privés) qui ont contribué pour un montant de près de 400 millions d’euros. Plus de 3 300 interventions pour protéger ou restaurer le patrimoine italien ont été effectuées auprès de 1 700 bénéficiaires.
Parmi les bénéficiaires les plus emblématiques figurent les Arènes de Vérone (9 M€, [voir ill.]), la Scala de Milan (85 millions d’euros en cinq ans) et le Théâtre royal de Parme (10 M€), le Musée égyptien de Turin (près de 4 M€) ou encore l’enceinte médiévale de Lucques (5 M€). Les potentiels mécènes peuvent consulter le site www.artbonus.gov.it pour choisir à quel chantier sera destiné leur don et suivre de manière détaillée les travaux envisagés.
Le ministère des Biens et Activités culturels (Mibac) réfléchit désormais à étendre la mesure au patrimoine privé qui en est pour l’instant exclu, mais aussi à l’art contemporain pour soutenir les jeunes artistes. Il aimerait également corriger les limites du dispositif.
En 2019, sur les donations supérieures à 100 000 euros figurent 67 grands mécènes dont 47 sont des banques ou des fondations bancaires, mais aussi des grandes entreprises qui privilégient essentiellement les territoires sur lesquels elles exercent leurs activités. C’est le cas de la marque de luxe toscane Ferragamo qui a largement contribué à la restauration de la statue de Neptune par Bartolomeo Ammannati installée place de la Seigneurie à Florence, ou encore du « roi du cachemire » Brunello Cucinelli, originaire de Ombrie, qui a déboursé environ 1 million d’euros pour la restauration du théâtre Morlacchi à Pérouse et pour des interventions dans les zones frappées par le séisme de 2016. Cela n’empêche pas également des financements provenant de particuliers, de familles ou d’associations souhaitant à hauteur de 3000, 5 000 ou 10 000 euros participer à la préservation ou à la valorisation d’une fontaine ou d’un palais historique du patrimoine artistico-culturel de leur ville.
Le Mibac déplore néanmoins un très fort déséquilibre en faveur du centre-nord du pays, plus riche et industriel, qui attire 94 % des projets et 98 % des ressources. Le sud de l’Italie dans son ensemble n’a récolté que 8,5 millions d’euros alors que les seules Arènes de Vérone ont bénéficié de 9 millions d’euros grâce à l’Art Bonus. La mesure est récente et doit se faire mieux connaître du grand public, admet le ministère qui a lancé une vaste campagne de communication sur les radios et les télévisions du service public. Son titre : « Nous sommes tous des mécènes ». Les Italiens n’ont que l’embarras du choix pour satisfaire cette vocation.
Une plateforme participative de financement pour la restauration d’œuvres
CROWFUNDING. Rendre le mécénat accessible à tous et surtout aux particuliers aux revenus modestes ou aux entreprises quel que soit leur chiffre d’affaires, c’est le but que se fixe thisispart.com. Cette plateforme numérique est la première à se spécialiser dans la restauration d’art ancien, moderne et contemporain. Elle applique le système de l’e-commerce au domaine du patrimoine culturel et lève les obstacles qui peuvent dissuader de potentiels mécènes. Il suffit de se rendre sur le site pour choisir sur le catalogue proposé l’œuvre dont on souhaite financer la restauration. L’équipe de thisispart prend ensuite la restauration en charge. L’entreprise propose également un accompagnement sur mesure pour bénéficier de l’Art Bonus, en fournissant une aide dans les démarches. Les œuvres proposées sur le site (des sculptures, peintures, fresques) peuvent faire l’objet d’un don compris entre 30 euros et 40 000 euros. Le catalogue d’œuvres est constamment mis à jour et comprend des églises et des musées dans les principales villes italiennes et étrangères, mais aussi le patrimoine de communes moins connues.
Olivier Tosseri, correspondant à Rome
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Bilan encourageant pour la loi mécénat italienne
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Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°533 du 15 novembre 2019, avec le titre suivant : Bilan encourageant pour la loi mécénat italienne