Avec l’ambition de repenser le format de l’exposition internationale, la cinquième Biennale d’art contemporain de Berlin prend ses quartiers de jour comme de nuit.
Orchestrée cette année par Adam Szymczyk, directeur de la Kunsthalle de Bâle, et Elena Filipovic, commissaire indépendante basée à Los Angeles, la cinquième édition de la Biennale de Berlin convie cinquante artistes dans une exposition répartie en quatre lieux. Le KW Institute for Contemporary Art, la Neue Nationalgalerie, le Skulpturenpark Berlin_Zentrum et le Schinkel Pavillon présentent nombre de projets spécifiques. À cela s’ajoute un important programme nocturne, qui voit chaque nuit de la manifestation s’animer d’interventions – performances, concerts, conférences… – dispersées dans la ville et conçues par plus d’une centaine d’intervenants.
Avec des croisements générationnels affirmés, la manifestation fait se rencontrer Ettore Sottsass, Paulina Olowska, Manon de Boer, Lars Laumann, Gabriel Kuri, Cyprien Gaillard, Jos De Gruyter & Harald Thys, Marc Camille Chaimowicz ou Paola Pivi, pour ne citer que quelques noms.
Les deux commissaires reviennent sur leur proposition.
L’organisation de la Biennale donne l’impression d’un grand découpage réunissant des thématiques et des champs très divers (le jour/la nuit, du cinéma, des performances…). Comment l’avez-vous pensée ?
Adam Szymczyk & Elena Filipovic : Nous avons tenté d’assouplir le cadre rigide des grandes expositions internationales. Nous avons pour cela introduit des lignes parallèles, de multiples débuts, des détours, des asymétries, à travers un éventail complet de gestes rhétoriques et de solutions pratiques. Nous espérons qu’ils permettent au public d’avoir une expérience différente et à plusieurs niveaux de cette manifestation. Nous ne dirions pas que la Biennale présente ici un thème principal ou même un nouveau genre de discours ; nous la voyons plutôt comme une structure ouverte. Nous travaillons avec tant d’artistes, tout en respectant leurs individualités, que nous ne voulions pas voir leurs œuvres classées ou nivelées en fonction de significations communes qui feraient le jeu d’un grand schéma curatorial. Comment une biennale pourrait-elle traiter d’un seul thème en particulier ?
Est-ce pour cette raison que le titre « When things cast no shadow » (Quand les choses ne projettent pas d’ombre) est un peu elliptique ?
Avec ce titre, nous avons voulu aborder une condition plus qu’un thème. [Nous avons renoncé à] inventer le genre d’intitulé qui indiquerait ce que la Biennale prétend proposer, ce qui aurait eu pour effet de réduire ou de diriger ses significations possibles. Il était important pour nous d’insister sur le « quand », et donc d’interroger les circonstances à travers lesquelles les choses « pourraient » simplement ne pas projeter d’ombre. Nous avons ainsi essayé de parler d’une condition de visibilité et d’expérience différente : être dans la lumière de jour comme de nuit.
D’où est venue cette idée de construire une biennale fondée sur une double temporalité, avec un programme pour le jour et un autre imaginé pour la nuit ?
L’idée d’une temporalité plus complexe est venue en nous interrogeant sur les manières de répondre aux besoins des artistes et à la diversité des pratiques artistiques. lll Elle relate aussi notre désir de résister à la tendance de ce genre de grandes manifestations de glisser vers l’événement spectaculaire. Pour cela, nous avons repensé la manière dont la Biennale tout entière se rattache au temps conventionnel de l’exposition et, par exemple, [décidé] de ne pas organiser simplement quelques performances destinées au milieu de l’art durant les seuls jours du vernissage. À l’inverse, nous avons souhaité offrir des actions ou des conférences chaque soir de la Biennale. Il y a donc une partie, le jour, proposant des expositions dans des lieux, tels le Kunstwerke et la Neue Nationalgalerie, qui, de façon traditionnelle, ouvrent le matin et ferment le soir, alors qu’en soirée le programme est différent puisqu’il occupe le temps et non l’espace. Nous avons pensé ce programme nocturne, intitulé « Mes nuits sont plus belles que vos jours », comme une possible subversion du format stable de l’exposition.
Ce programme nocturne vient-il en complément de ce que l’on peut voir le jour, ou s’agit-il de propositions différentes, qui nécessitent une autre forme de présentation ?
Certains événements ont été proposés par des artistes ayant des œuvres dans les expositions de jour auxquelles ils sont spécifiquement liés. Susanne Kriemann, par exemple, va faire intervenir des historiens et d’autres spécialistes pour parler du « Schwerbelastungs-
körper », un immense objet qui est le principal protagoniste de sa série de photographies montrée à la Neue Nationalgalerie. Parfois, les interventions sont liées au jour d’une façon moins directe et plus évocatrice, et permettent aux artistes de révéler des facettes très différentes de leur processus de travail. C’est, entre autres, le cas de Goshka Macuga, qui s’est intéressée à l’histoire de ce même édifice pour sa nouvelle installation. Pendant ses recherches, elle a découvert que le parc de sculptures du musée avait été le théâtre de concerts de jazz légendaires à la fin des années 1960 et au cours des années 1970. Cela lui a donné l’idée d’organiser un concert puisque le parc a été fermé pendant de nombreuses années. Son ensemble de sculptures exposé à l’intérieur reste toutefois sans rapport avec ce concert, mais les deux œuvres sont issues de la même recherche et témoignent de l’importance de l’investigation dans son travail. Ou encore, des artistes et penseurs qui ne sont pas présents dans les expositions de jour ont été invités à intervenir un soir car la nature de leur pratique est telle que cela faisait plus sens de leur offrir un forum ouvert avec un public. Nous sommes allés chercher avec précision ce genre d’actions, de conférences ou de concerts qui sont une façon de pointer la diversité formelle prise par l’art contemporain aujourd’hui.
- Commissaires : Adam Szymczyk, directeur de la Kunsthalle de Bâle, et Elena Filipovic, commissaire indépendante
- Quatre lieux d’exposition
- Nombre d’artistes : 50
- Nombre d’événements la nuit : 63
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Berlin le jour, Berlin la nuit
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Abonnez-vous dès 1 €Jusqu’au 15 juin, organisée par le KW Institute for Contemporary Art, Auguststraße 69, Berlin-Mitte. Également : Neue Nationalgalerie, Kulturforum Postdamerplatz, Postdamer Straße 50, Berlin-Tiergarten ; Skulpturenpark Berlin_Zentrum, Kommandantenstraße/Neue Grünstraße, Berlin-Kreuzberg ; Schinkel Pavillon, Oberwallstraße 1, Berlin-Mitte. Programme « Mes nuits sont plus belles que vos jours » dans divers lieux. Tél. 49 30 24 34 59 70, www.berlinbiennale.de, tlj sauf lundi 10h-19h, jeudi 10h-22h, samedi-dimanche 11h-19h.
Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°279 du 11 avril 2008, avec le titre suivant : Berlin le jour, Berlin la nuit