MANCHESTER / ROYAUME-UNI
Ce nouvel équipement culturel, lieu de création cofinancé par la sphère privée et le secteur public, pourrait rapporter plus de 1 milliard d’euros sur dix ans à la ville britannique.
Manchester (Angleterre). Si l’on se rend à Aviva Studios de Manchester en voiture, on arrive sur une esplanade ouverte, au cœur même du bâtiment. Pour observer les lignes déstructurées de ce gros hangar gris et jaune conçu par l’architecte Ellen van Loon, de l’Office for Metropolitan Architecture (OMA), il faut marcher jusqu’aux rives industrielles de l’Irwell, dans le quartier de St John’s, en pleine transformation. Mais ce qui importe, ce n’est pas tant sa structure polymorphe de plus 13 000 mètres carrés ni ses 21 mètres de haut. C’est la promesse que ce « hub » culturel représente pour Manchester.
« Nous sommes une ville qui, comme beaucoup d’autres dans les années 1960, 1970 et 1980, s’est battue contre le déclin postindustriel, rappelle Bev Craig, cheffe [travailliste] du conseil municipal. La culture a été au cœur de la résurgence phénoménale de la ville au cours de ces vingt dernières années. » Annoncé en 2014, le projet avait surtout pour but d’offrir une « maison » à Factory International, propriétaire du Festival international de Manchester (MIF). L’entreprise produit des créations artistiques hybrides, mêlant digital, arts visuels et performances et destinées à être exportées au-delà des frontières britanniques. Composés de deux salles de spectacle amovibles, qui peuvent se transformer pour donner corps à diverses formes de représentations [lire l’encadré], Aviva Studios offre à Factory International le terrain de jeu idéal.
Mais avec ce projet, Factory International a aussi rencontré l’ambition de la ville de Manchester, troisième destination britannique pour les touristes internationaux, après Londres et Édimbourg. Le désir des partenaires de ce nouveau lieu d’arts et de spectacle est commun : déplacer le centre de gravité culturel britannique vers le nord de l’Angleterre.
Les investissements pour cet équipement sont à la hauteur de cette ambition. Aviva Studios est le plus gros projet culturel à l’échelle nationale depuis la Tate Modern en 2000. Il repose sur un partenariat de plusieurs millions de livres répartis entre le conseil municipal de Manchester, Factory International, et l’assureur Aviva pour les droits d’appellation, un accord qualifié de « novateur pour le secteur des arts » par la Ville de Manchester.
La construction du site aurait coûté au total plus de 240 millions de livres [277 M€]. « Plus de 106 millions de livres [122 M€] proviennent d’un financement public », précise Roger Williams, porte-parole du conseil municipal de Manchester. 78,1 millions [90,1 M€] sont issus du gouvernement, 7 millions [8 M€] du fonds de la National Lottery par le biais de l’Arts Council England (ACE), l’agence nationale de développement culturel, et 21 millions [24 M€] d’un fonds prévu pour les projets artistiques d’envergure affectés par la pandémie de Covid-19, également par le biais de l’ACE. « La contribution du conseil municipal de Manchester s’élève à ce jour à 73,3 millions de livres [84,4 M€] », ajoute le porte-parole. À cela s’ajoutent 39,3 millions de livres [45,3 M€] obtenus par le biais de collectes de fonds externes. « Au fil du temps, les droits d’appellation et d’autres accords de partenariat permettront au conseil de récupérer intégralement les fonds qu’il a investis dans ce projet », assure pour sa part Luthfur Rahman, le chef adjoint du conseil municipal.
De telles dépenses sont-elles justifiées ? Maria Balshaw, la directrice de la Tate, estime que c’est l’échelle et la flexibilité d’Aviva Studios qui donnent au site son caractère extraordinaire. « Le lieu a été conçu pour le public et l’art du futur, commente-t-elle. Les gens viendront ici pour avoir une expérience vraiment unique. » Mais Aviva Studios a ouvert ses portes et c’est aujourd’hui que son concept futuriste doit faire ses preuves. Pour attirer les Mancuniens dans son antre coûteux, Factory International a décidé d’impliquer les habitants du Grand Manchester dans la fabrication des projets d’Aviva Studios. Le People’s Forum et le Young People’s Forum, des organes consultatifs pour réfléchir à la programmation de Factory International, inviteront aussi les habitants de la ville à participer aux activités d’Aviva Studios.
Factory International assure que ce lieu devrait apporter à la ville pas moins 1,1 milliard de livres [1,27 Md€] sur une dizaine d’années et contribuer à la création de 1 500 emplois directs et indirects. Le site sera aussi utilisé comme laboratoire d’expérimentation et de recherche pour la Factory Academy, qui propose des programmes de développement pour les artistes du nord de l’Angleterre, et notamment des groupes sous-représentés dans le secteur des arts.
Des salles de spectacle modulables selon l’usage
Programmation. À en croire la présentation d’Aviva Studios lors de son lancement officiel le 18 octobre, ce nouveau « hub » culturel consiste surtout en un lieu de spectacle multiforme. La salle dénommée Warehouse (« entrepôt » en français) peut recevoir 5 000 personnes debout et être divisée grâce un mur acoustique mobile sur toute la hauteur. Le Hall ressemble plus à une salle de spectacle classique, avec 1 600 places assises ou 2 000 places debout. Son système acoustique électronique s’adapte à tout type de représentation. Mieux : ces deux espaces peuvent s’ouvrir l’un sur l’autre, permettant de réorganiser les sièges et la scène sur toute la longueur du site. C’est Danny Boyle, le réalisateur oscarisé né dans la région de Manchester, qui a eu l’honneur d’inaugurer le site, avec le spectacle immersif « Free Your Mind », inspiré du film Matrix. En revanche, aucun espace d’Aviva Studios n’est dévolu de façon spécifique et permanente aux arts visuels. « Le lieu est interdisciplinaire, assure pourtant John McGrath, le directeur artistique et directeur général. Je suis en discussion avec de nombreux artistes qui souhaitent l’utiliser. » L’espace du Warehouse a d’ailleurs servi de lieu d’exposition à l’artiste japonaise Yayoi Kusama cet été. « Nous ne voulions pas un espace muséal d’exposition classique, mais un lieu de création. Yayoi Kusama a réutilisé certaines de ses pièces en les repensant pour produire une œuvre unique propre au lieu. » John McGrath refuse aussi tout rythme institutionnel. « Il peut s’agir d’une exposition d’un jour, ou de deux ou trois mois, indique-t-il. Nous ne voulons imposer aucune restriction. »
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Avec « Aviva studios », Manchester veut concurrencer Londres
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Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°621 du 17 novembre 2023, avec le titre suivant : Avec « Aviva studios », Manchester veut concurrencer Londres