Antoine Compagnon : « Je voudrais inviter les visiteurs à découvrir un autre Louvre »

Je passe au Louvre le plus de temps possible. Je m’y rends au moins deux ou trois fois par semaine, sur le chemin de mon domicile au Collège de France. Je n’y dors donc pas, encore que cela ne me déplairait pas. Ce serait réaliser un rêve de l’enfant que j’étais, qui imaginait les momies sortir de leur sarcophage la nuit... À travers deux textes hebdomadaires, publiés sur le site du musée et sur sa page Facebook, j’évoque des œuvres que j’aime, mais aussi les visiteurs ou la vie du musée. Je m’intéresse par exemple aux multiples métiers du Louvre, celui de la présidente-directrice du musée Laurence des Cars, comme celui des gardiens ou des jardiniers qui soignent les plantes dans la cour Marly !

Évidemment ! On connaît les artistes par les œuvres qu’on a vues dans son enfance. C’est à partir de celles-là qu’on évalue tout. Le Louvre dont je me souviens, c’est le « petit Louvre » de mes dix ans, où j’ai découvert les antiquités égyptiennes grâce aux programmes de la classe de sixième. J’ai ainsi dédié ma première chronique au Grand Sphinx ! J’évoque dans un certain nombre de textes les peintures qui m’ont marqué dans mon enfance, par exemple la Minervechassant les Vices du jardin de la Vertu de Mantegna (1431-1506), dont les personnages m’émerveillent toujours. Chaque chronique est accompagnée d’une photo que je prends : un fragment, ou une vue de l’œuvre avec une personne devant. J’aime qu’on voie comme les gens voient !

Oui, ils me murmurent que le Louvre est un lieu de vie. André Gide, comme Proust dans sa jeunesse, visitait le musée presque chaque jour. On pouvait alors facilement entrer et sortir, par plusieurs portes et sans faire la queue. Le Louvre était un lieu de rencontres. Proust y donnait rendez-vous à Lucien Daudet; Baudelaire y retrouvait sa mère pour éviter d’aller chez son beau-père honni… Aujourd’hui, le Louvre est extrêmement fréquenté, et cette pratique s’est perdue. Mais l’on continue d’y vivre. On y croise des étudiants copiant des tableaux, parfois même des personnes prenant un cours de Pilates au milieu des œuvres ! J’aime particulièrement, dans le département des arts de l’Islam, un cercle de banquettes où les visiteurs fatigués se reposent longuement, où certains retirent leurs chaussures et font même un bout de sieste, non loin des délicates joutes poétiques d’Ispahan.

Si, à travers les serpentins qui organisent la file d’attente pour voir le tableau, comme dans les aéroports ! Ce que j’aimerais, c’est inviter les visiteurs à découvrir un autre Louvre; leur montrer les vues sur Paris depuis le musée – par exemple celle qu’offre la Galerie Campana sur le pont des Arts et l’Institut –, attirer leur attention sur le petit escalier qui mène discrètement vers mes salles préférées, celles des peintures françaises, où l’on trouve des chefs-d’œuvre et où l’on est presque seul, ou encore les conduire jusqu’à la salle où sont exposés des cadres, qui m’amuse autant qu’elle m’interpelle !