Anne Sinclair se confie à l'occasion de l'exposition du Musée Maillol, inspirée de son livre sur son grand-père le marchand Paul Rosenberg.
Il y a cinq ans, elle publiait 21 rue La Boétie, un livre dédié à son grand-père, le marchand Paul Rosenberg, qui fut l’un des plus des grands défenseurs de l’art moderne avant, pendant et après la Seconde Guerre mondiale. Ce succès littéraire a inspiré à la Boverie de Liège l’idée d’une exposition, qu’accueille prochainement le Musée Maillol. Anne Sinclair revient sur la genèse de ce projet et quelques souvenirs d’enfance.
Comment a germé l’idée de cette exposition ?
Elle ne vient pas du tout de moi, je n’ai pas assez d’imagination, mais de La Boverie à Liège. Le musée était en rénovation et voulait pour sa rentrée une grande exposition. Je n’en suis pas la commissaire, mais plutôt la marraine. C’est l’institution belge Tempora qui s’est chargée des prêts, de la scénographie, en veillant au respect de mon livre, point de rencontre entre la petite et la grande histoire. Cette transposition nous a pris deux ans. Le plus difficile aura été de trouver des œuvres ayant transité par la galerie de mon grand-père.
En écrivant l’histoire de votre grand-père, n’avez-vous pas l’impression d’avoir fini ce qu’il avait commencé ? Vous citez des bribes d’une autobiographie inachevée dans votre livre...
Ce n’est pas une biographie en bonne et due forme. Une évocation, tout au plus, à partir des archives dont je disposais. Les pages seules où il raconte sa première confrontation avec La Chambre de Van Gogh à Arles et ce plancher qui semblait danser sous ses yeux, sont extraordinaires. Je crois surtout qu’il préférait accrocher ses tableaux plutôt que consigner ses pensées sur l’art. Toute sa correspondance avec Matisse et Picasso montre à quel point il était frustré de n’être qu’un passeur parmi des créateurs.
Vous-même avez revendiqué le rôle d’« observatrice et non d’actrice », quand on vous a proposé d’entrer au ministère de la Culture. Votre champ d’action n’est-il pas au fond le journalisme et l’écriture, qui vous permettent d’aborder vos passions, telles que l’art et la politique ?
Et l’opéra ! Tout à fait. D’ailleurs, je vois mon livre comme une réconciliation globale de tout ce que je suis. Malgré l’intérêt que je porte à la vie publique, j’aurais beaucoup de mal à me couler dans une activité partisane. Quant à l’art, je m’y suis plongée pour renouer avec la branche maternelle de ma famille.
Vous parlez de « ce chemin qui [vous a menée] de la politique à l’art moderne ». Votre grand-père, féru de peinture, a parcouru le chemin inverse. Est-il tombé malgré lui dans la politique ?
Il a soutenu le Front populaire avant d’être persécuté par le gouvernement de Vichy, comme juif et comme père d’un garçon de dix-sept ans, mon oncle, qui s’était engagé dans la France libre et donc dans le combat contre les Allemands. L’une des photos que j’ai choisies, où il scrute un tableau, de profil, correspond au souvenir que j’ai de lui.
Et de Picasso, quel souvenir gardez-vous ?
Je me suis rendue plus d’une fois à Notre-Dame-de-Vie. C’était une maison bohème. Une toile retournée servait de tête de lit, des taches de peinture recouvraient le parquet. Je ne comprenais pas pourquoi ma mère s’extasiait devant cette pagaille, elle qui insistait toujours pour que je range ma chambre. J’allais jouer dans le jardin avec Claude, mon cousin, qui a mon âge. Nous grimpions sur la Chèvre jusqu’au jour où – je devais avoir treize ans – Picasso a exprimé le désir de me peindre. Je suis partie en courant. Je n’avais aucune envie de ressembler à l’une de ses « gueules tordues ». À défaut de ce portrait potentiel, il me reste une photo de nous deux. Je devais avoir dix-huit ans, la dernière fois que je l’ai vu.
Votre grand-père a disparu quand vous aviez onze ans. Quel enseignement avez-vous reçu de lui ?
Il m’a appris à ne pas me disperser au musée. Il faut repérer une toile, s’en approcher, la fixer intensément, l’emporter fictivement avec soi, et éventuellement refaire le parcours en sens inverse, pour la revoir et bien la garder en tête. Lui-même serait honoré d’être un objet de visite au musée.
Partagez-vous ses goûts ?
Je suis très classique. Comme mon grand-père, j’adore les impressionnistes et l’art moderne. Je suis toutefois allée un peu plus loin que lui. J’apprécie des artistes qui lui déplaisaient ou qu’il n’a pas connus, tels qu’Alechinsky, Rothko ou de Kooning. Lui, rejetait le surréalisme qu’il considérait comme un mouvement plus littéraire qu’artistique. Je ne sais pas ce qu’il pensait de Soulages, que j’aime énormément.
Et l’art contemporain ?
Ce que mon grand-père exposait, c’était déjà l’art contemporain, mais il n’a rien vendu avant 1925. Le public semblait plus difficile à convaincre à son époque. Aujourd’hui, au contraire, tout le monde se prosterne aveuglément devant Koons ou Hirst, par complexe. On s’est tellement trompés, qu’on n’a pas envie de passer pour des imbéciles. Or cette génuflexion générale n’est pas toujours méritée. Seuls les grands amateurs, dont je ne suis pas, savent faire le tri. Dans mon livre, « Chroniques d’une France blessée » – qui paraît au moment où s’ouvre l’exposition à Maillol – j’évoque « Monumenta ». Les gens ont adoré cet immense jeu de Lego, avec son serpent qui représente la vie au milieu de la matière inerte et le tricorne de Napoléon qui symbolise l’empire. Moi pas. J’ai sûrement tort. Ping sera peut-être le Picasso de demain. Dans tous les cas, je préfère voir la queue au Grand Palais, que dans les boutiques de mode à Saint-Germain-des-Prés !
De combien de tableaux de votre grand-père avez-vous hérité ?
Cinq ou six tableaux, pas plus. Je tiens particulièrement à un portrait au crayon de mon grand-père. J’ai prêté ce dessin de Picasso pour l’exposition.
Peignez-vous vous-même ?
Je suis totalement incapable de mes dix doigts (rires). Quand mes petits-enfants me demandent de dessiner, je fais moins bien qu’eux. Ou alors je serais tachiste ? C’est ça, je fais du Pollock (rires).
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Anne Sinclair se confie au Journal des Arts
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Abonnez-vous dès 1 €Anne Sinclair © Photo JF Paga
Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°474 du 3 mars 2017, avec le titre suivant : Anne Sinclair se confie au <em>Journal des Arts</em>