Né en 1950 à Haïfa, en Israël, Amos Gitaï a, après une formation d’architecte, réalisé plus de soixante-dix films. Un corpus dans lequel se mêlent courts, moyens et longs métrages, documentaires et fictions. Parmi ces dernières œuvres, citons Kadosh (1999), Kippour (2000) ou Kedma (2002), qui, à l’instar d’une large part de sa cinématographie, reviennent sur l’histoire d’Israël et de ses enjeux. Alors que son dernier film, Alila, vient de sortir en salles et que le Centre Pompidou lui consacre une rétrospective intégrale et une exposition, il commente l’actualité.
Votre œuvre cinématographique laisse une place importante au documentaire. Ce type de travaux est aujourd’hui de plus en plus répandu dans le champ des arts plastiques. Si l’on songe à Kippour, le film est venu trois ans après Kippour, souvenirs de guerre, un documentaire sur le sujet. Ce dernier format était-il ici un passage obligé ?
Oui, tout à fait. Le dialogue entre deux genres est pour moi complémentaire. Le documentaire est une sorte d’archéologie de sites humains. On découvre strates par strates une série de contradictions, de couches différentes, jusqu’à ce qui pourrait être un noyau dur, une vérité que le film tente de mettre au jour. Dans le cinéma de fiction, le travail de construction part d’un vide. C’est une forme narrative abstraite qui tend vers une construction plus cinématographique. On pourrait dire que le documentaire commence par un objet ou une thématique concrète dans laquelle on creuse. Quant à la fiction, elle se construit d’abord à travers une abstraction.
Fiction ou documentaire, le cinéma hante les arts plastiques. Comment voyez-vous la place qu’il y occupe aujourd’hui ?
Le cinéma prend effectivement petit à petit une position centrale dans le champ des arts plastiques. À ce sujet, on ne peut que relire le magnifique texte de Walter Benjamin sur L’Œuvre d’art à l’ère de sa reproductibilité technique. Le cinéma est d’une certaine façon la reproduction la plus complexe. Il reproduit l’image, le mouvement, le son. Le cinéma, qu’il soit de fiction ou documentaire, est comme une épidémie au sein des autres arts.
À l’occasion de votre rétrospective au Centre Pompidou, vous présentez un travail qui irait à rebours de cela, une série de photographies d’images recadrées ou de détails dans vos films.
La question de la représentation d’une image filmée est toujours un problème. Comment arrive-t-on à regarder un travail cinématographique à travers des images figées ? Voilà le challenge qui m’a intéressé. Il s’agit d’un effort de réinterprétation porté sur certaines images filmées. Exposées ensemble, elles composent une série qui se déroule, un voyage initiatique à travers des chaînes associatives d’images.
À mesure que les projections se sont multipliées dans les salles d’exposition, la question de l’exposition du cinéma, à laquelle vous proposez ici une réponse, est devenue récurrente. À l’autre bout de la chaîne, le projet de réouverture du Musée du cinéma à Paris pose une interrogation proche. Que doit être ce musée ?
La réponse n’est pas strictement “muséale”. Elle doit d’abord être celle de l’engagement de la culture vis-à-vis du réel. Le cinéma est un art qui vibre encore, et trouver une forme physique pour ce projet pose des questions dans tous les sens. C’est un processus de recherche qui doit s’attacher à des œuvres qui partent dans des directions différentes. À mon avis, cela fait actuellement partie des sujets les plus intéressants.
Votre apprentissage de l’architecture avant votre carrière cinématographique conduit évidemment à poser la question des passages possibles entre les arts...
Le cinéma comme l’architecture ne sont pas des arts intimes. Ce sont des arts industriels. Ils amènent une série d’interprétations en engageant d’autres groupes d’interlocuteurs. Ceux-là sont tous nécessaires à l’élaboration d’un film ou à la construction d’un bâtiment. Le cinéma et l’architecture ont donc en commun une stratégie : comment faire exister le projet malgré une série de pressions et de manipulations ? Je parle là de production et d’articulation artistique. D’un point de vue formel, l’un construit l’espace, l’autre le représente. Je crois que, dans le cinéma, on a encore le moyen de modifier le projet tout au long de son processus de fabrication, alors que l’architecture est plus rigide. Mais l’exposition présentée à Beaubourg tient davantage de l’architecture. Pour une exposition, on ne peut pas écrire un scénario hermétique, un itinéraire que va suivre le visiteur du lieu. Ce n’est pas une narration linéaire. L’interprétation d’un immeuble comme d’une exposition dépend du mouvement et non pas seulement du regard. Elle propose une notion ouverte. Le cinéma, par définition, commence – sauf erreurs ou exceptions – par la première bobine et finit par la dernière. Dans l’architecture, la proposition n’est pas si hermétique.
Quelles expositions ont attiré votre attention récemment ?
Je ne pense pas à une exposition particulière, mais je trouve très intéressante cette école qui tend à situer les arts en vis-à-vis, en accrochant des œuvres sous une forme associative. Cette approche existe dans l’accrochage de la Tate Modern à Londres ou au Centre Pompidou. Elle propose un travail d’interprétation pertinent, en établissant des liaisons entre des objets d’origine industriels comme le design ou le cinéma et d’autres [qui ne le sont pas] comme les arts plastiques. Cette réflexion répond de toute façon à la démarche moderne et à un système de juxtaposition, qui est aussi celui de l’expérience quotidienne. Dans la rue, on passe par des sensations différentes. Je ne cite pas d’artistes précisément, je crois que ce n’est pas un travail d’individu mais un travail associatif qui peut être proposé par les conservateurs.
- À voir : Rétrospective intégrale des films, et exposition, jusqu’au 3 novembre, Centre Pompidou, tél. 01 44 78 12 33, www.centrepompidou.fr - Arte Vidéo édite un coffret de 3 DVD contenant le diptyque La Maison (1979)/Une maison à Jérusalem (1998), la trilogie du Wadi, Journal de Campagne (1982) et l’Arène du meurtre (1996). - À lire : Amos Gitaï, éd. du Centre Pompidou, 22,90 euros ; Serge Toubiana et Baptiste Piégay, Exils et territoires, le Cinéma d’Amos Gitaï, éd. des Cahiers du Cinéma, 23 euros ; Mont Carmel, Amos Gitaï, Gallimard, 19,50 euros.
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Amos Gitaï
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Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°178 du 10 octobre 2003, avec le titre suivant : Amos Gitaï