OBERHAUSEN / ALLEMAGNE
Les activistes prétendaient avoir emmené l’œuvre en Afrique, dans un geste symbolique. C’était en fait une copie.
Vol, simulation de restitution ? L’œuvre de Joseph Beuys intitulée Capri-Batterie (1985) avait disparu d’une exposition à Oberhausen en Allemagne. Le collectif d’artistes Frankfurter Hauptschule annonçait l’avoir saisi et emmené en Afrique. Il l’aurait remis au Musée Iringa Boma en Tanzanie – une ancienne colonie allemande – dans un acte symbolique de restitution.
Leur action intitulée « Bad Beuys Go Africa » est documentée dans une vidéo satirique montrant l'effraction nocturne dans l’exposition, le passage par l’aéroport jusqu’à la remise de l’œuvre au représentant de la tribu Hehe au musée d'Iringa. Une tribu dont des objets d'art, des biens culturels et crânes ont été emportés en Allemagne lors de la période coloniale.
Le lundi, 26 octobre, le Musée Iringa Boma a diffusé une nouvelle vidéo dans laquelle il révèle que l’œuvre restituée est une réplique. L’originale est restée dans une réserve du lieu d’exposition. Les conservateurs et la police avaient fouillé le site mais n'avaient pas trouvé la cachette.
Un représentant du musée tanzanien, Deonis Mgumba, affirme que le musée a collaboré avec la Frankfurter Hauptschule dans la mise en scène du vol, dans le but « d'ouvrir l'esprit des gens, de pousser le débat sur les process de restitutions. » Il explique que dans leur culture, les ancêtres ne trouvent pas de repos tant que leurs dépouilles ont été emportées. « C’est pourquoi, il nous est important de les ramener, de les enterrer dans leur lieu de naissance. Nous croyons aussi que sans cela, il n'y a pas de lien entre la jeune génération et nos ancêtres. »
La Capri-Batterie avait été prêtée par le musée LWL de Münster pour l’exposition « Pollution. Conditions corporelles. Fascisme » au théâtre de Oberhausen dans la Ruhr. L’exposition rendait hommage au metteur en scène et réalisateur Christopher Schlingensief et montrait des artistes qui l’ont influencé, ou qui ont été influencés par lui. Parmi eux Valie Export, Alexander Kluge, Jonathan Meese, Hermann Nitsch, Joseph Beuys et le collectif Frankfurter Hauptschule auteur du vol.
L’œuvre est constituée d’une ampoule jaune rattachée à un citron. « Remplacez la batterie après 1000 heures » indique le mode d’emploi de Beuys. Un seul exemplaire, des 200 éditions existantes, pouvait atteindre des prix de vente entre 20 000 et 24 000 euros, selon la FAZ.
L’action, qui s’apparente à une blague d’étudiants de Beaux-Arts, n’a pas fait rire le directeur du LWL Museum, Hermann Arnhold. Les artistes de la Frankfurter Hauptschule, critique-t-il, ont commis un crime juste pour se faire de la publicité : « Ils ont franchi une ligne rouge ! » Il s’était dit (dans un entretien avec le magazine MONOPOL), très inquiet lors de la disparition de l’œuvre. « En tant que prêteurs de l'œuvre d'art de Joseph Beuys […] nous attendons du théâtre municipal d'Oberhausen et des conservateurs qu'ils traitent les œuvres d'art de l'exposition de manière responsable et qu'ils travaillent ensemble de manière honnête et transparente ».
La Deutsche Welle rapporte que le directeur du théâtre d'Oberhausen, Florian Fiedler, soupçonnait déjà que l’œuvre était encore en Allemagne, mais craint maintenant que sa « réputation en tant que dépositaire d'œuvres d'art soit atteinte ».
Le collectif a raconté au Journal des Arts qu’il avait planifié l’action depuis quelques mois, depuis qu’il savait qu’il ferait partie de l'exposition à Oberhausen. Il indique aussi être allé préalablement en Tanzanie pour rencontrer des représentants du Musée Iringa Boma.
À la question, s’ils risquent d’être poursuivi en justice, le collectif répond : « Oui, il y a probablement quelque chose qui se prépare. Mais nous disons : un État qui se vante d'être un État de droit et qui expose en même temps des biens saisis de force dans ses musées les plus renommés, ne peut qu’être partiellement pris au sérieux. »
La Frankfurt Hauptschule est un collectif de 20 personnes de Francfort-sur-le-Main créé en 2013. Les travaux des jeunes artistes activistes interrogent la cohésion sociale et les limites juridiques. Ils s’étaient déjà fait remarquer en brûlant et exposant une voiture de police dans l’espace public, pour protester contre l'éviction des toxicomanes du quartier de la gare de Francfort. L’année dernière, ils avaient jeté des rouleaux de papier toilette sur la maison de Goethe à Weimar, contestant son image sexiste envers les femmes.
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Allemagne, un collectif d’artistes « vole » une œuvre de Joseph Beuys
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