ALLEMAGNE
Les constructeurs automobiles germaniques ont su très tôt, par stratégie commerciale, valoriser leurs modèles à travers leur histoire. Les Allemands, et, de plus en plus, les touristes étrangers plébiscitent ces musées d’entreprise haut de gamme.
Stuttgart, Ingolstadt, Munich, Wolfsburg. Une véritable ambiance de cathédrale… Dans l’immense bâtiment tout blanc, les centaines de « fidèles » semblent être en pèlerinage. Venus du monde entier, ils parlent français, néerlandais, anglais, japonais ou hindi. Leurs échanges se font à voix basse comme pour respecter la solennité du lieu. Nous ne sommes pourtant pas dans une église, un temple, une mosquée ou une synagogue mais… au Musée Porsche.
Inauguré en janvier 2009, ce sublime bâtiment [voir ill.] imaginé par le cabinet d’architectes autrichien Delugan Meissl semble flotter dans les airs. Reliée au sol par trois énormes piliers, la structure de 35 000 tonnes en verre et en métal se situe à Zuffenhausen, un quartier sans charme au nord-est de Stuttgart, à deux pas de l’usine où la première Coccinelle est sortie des chaînes d’assemblage en 1938 (il s’en vendra 21,5 millions d’exemplaires depuis cette date jusqu’à l’arrêt de sa production en 2003). Dans cet écrin qui a nécessité près de trois ans de travaux et 100 millions d’euros d’investissement, quatre-vingts modèles de la marque sont exposés toute l’année. Depuis les prototypes de la 911 et de la Boxster jusqu’à la cultissime 550 Spyder dans laquelle James Dean trouva la mort à l’âge de 24 ans sur le circuit de Salinas en Californie en passant par la 336/77 Spyder qui remporta les 24 Heures du Mans à trois reprises et la célèbre 959 qui gagna le Paris-Dakar en 1986. Toutes les voitures mythiques du constructeur sont là.
« Das Porsche Museum » n’est pas unique en son genre en Allemagne. Loin de là. Audi, BMW, Mercedes-Benz et Volkswagen ont tous ouvert ou rénové ces dernières années des musées consacrés à leur marque. Les constructeurs n’ont pas lésiné sur la dépense pour ces bâtiments à l’architecture futuriste. Volkswagen a englouti 430 millions d’euros pour construire près de son usine historique de Wolfsburg l’« Autostadt » qui comprend la « maison du temps » (« ZeitHaus ») dans laquelle sont exposés 260 véhicules [lire l’encadré]. BMW aurait, lui, investi au moins 500 millions d’euros (le chiffre précis n’a jamais été dévoilé) pour inaugurer le « BMW Welt » (« Monde BMW ») et son musée totalement rénové. Le bâtiment principal est impressionnant avec ses lignes torturées et son toit de 3 000 tonnes censé représenter un nuage qui tient d’un seul tenant. Cet espace de 16 000 m² permet d’admirer les nouveaux modèles de la marque bavaroise et de récupérer les voitures neuves récemment achetées. Il suffit de traverser une rue pour découvrir les nouvelles salles du musée du constructeur. Inauguré en 1973, le BMW Museum a rouvert ses portes en juin 2008 après d’importants travaux qui ont permis de quintupler sa surface d’exposition qui atteint aujourd’hui 5 000 m2. Quelque 130 modèles sont désormais exposés dans ses vingt-cinq pièces.
Situé juste à côté de l’énorme usine du groupe à Ingolstadt en Bavière, dont la superficie de 2,2 millions de mètres carrés est comparable à celle de Monaco, l’Audi Museum mobile retrace, lui, sur trois étages l’histoire compliquée de la filiale haut de gamme de VW (Volkswagen). L’espace abrite notamment une des toutes premières voitures créées par August Horch en 1903. Cet ancien apprenti de Carl Benz est considéré comme le fondateur d’Audi. Frappée durement par la crise financière de 1929 (le nombre de constructeurs automobiles allemands est passé de 60 à 16 au cours de ces dures années), la firme est parvenue à survivre en unissant ses forces à celles de trois de ses concurrents, DKW, NSU et Wanderer. L’Auto Union AG devint alors la marque « aux quatre anneaux ». La collection présentée en Bavière abrite des modèles anciens ainsi que les plus beaux bolides qui ont permis au constructeur de gagner de nombreux rallyes et d’obtenir treize victoires aux 24 Heures du Mans.
L’autre grand constructeur basé à Stuttgart, Mercedes-Benz, s’est lui aussi offert un musée flambant neuf en mai 2006 [voir ill.]. Dessiné par le cabinet néerlandais UNStudio, qui a notamment imaginé le centre culturel dévolu au 7e art à EuropaCity (Val-d’Oise) et l’extension du Musée Te Papa Tongarewa à Wellington en Nouvelle-Zélande, le « Mercedes-Benz Museum » présente dans un espace de 16 500 m2 réparti sur neuf niveaux 160 modèles de la marque qui retracent plus de cent trente ans d’histoire de l’automobile. En se promenant sur les rampes qui permettent de passer d’un étage à l’autre sans perdre de vue l’imposant atrium central, les visiteurs peuvent s’émerveiller devant les premières ébauches de Gottlieb Daimler et de Carl Benz avant de caresser des yeux les courbes infinies des Mercedes-Benz 500 K et 540 K qui ont fait tourner les têtes durant les années 1930. Les passionnés de courses automobiles passent de longues minutes devant les Flèches d’argent comme la fameuse W196 R grâce à laquelle l’Argentin Juan Manuel Fangio remporta le championnat du monde de Formule 1 en 1954 et 1955. Les bolides de la marque à l’étoile, présents sur les pistes de F1 et aux 24 Heures du Mans ou sur les dunes du Dakar, sont exposés sur un anneau de vitesse imaginaire au milieu duquel les amateurs peuvent prendre des photos.
Les Allemands aiment particulièrement ces musées automobiles. « Vous savez, pour nous autres, la voiture représente toujours l’enfant préféré de la famille », sourit Ulrike Merten qui est venue avec son mari tout spécialement de Zwickau dans l’ancienne RDA pour visiter le Musée BMW à Munich. Les étrangers sont également de plus en plus nombreux à admirer les fleurons mécaniques du « Made in Germany » lors de leurs visites en République fédérale. Près de 60 % des 800 000 personnes qui se rendent chaque année au Musée Mercedes-Benz sont des étrangers. Depuis août 2018 et la venue de résidents en provenance de Guyane et de Saint-Christophe-et-Niévès dans les Caraïbes, le site s’enorgueillit même d’avoir reçu des visiteurs originaires des 193 pays membres des Nations unies. Avec son charme un peu suranné, le BMW Welt accueille, lui, près de 500 000 personnes chaque année, un chiffre équivalent à celui enregistré par le Musée Porsche.
Les constructeurs automobiles allemands ont depuis longtemps compris qu’ils avaient tout intérêt à mettre en avant leurs racines pour séduire les passionnés de belles mécaniques. BMW a commencé à exposer certains de ses modèles dès 1925 dans une pièce construite au sein de son usine munichoise. Daimler-Benz, la maison mère de Mercedes, récolte, elle, des vestiges de son prestigieux passé depuis décembre 1936. Avec l’explosion de leurs ventes, l’essor du tourisme et leur arrivée sur de nouveaux marchés internationaux, les marques allemandes ont choisi d’ouvrir des musées gigantesques pour soigner leur image haut de gamme et « justifier » le prix élevé de leurs modèles. Leurs concurrents français ont fait le pari inverse. Le Musée Renault à Paris, qui comprend une centaine de modèles emblématiques, est fermé au public et le Musée de l’aventure Peugeot, situé à Sochaux (Doubs), accueille moins de 55 000 visiteurs par an. On est loin des cathédrales allemandes et de leurs millions d’amateurs…
Bienvenue dans la ville de l’automobile
Wolfsburg. Inauguré en 2000 sur un espace de 25 hectares jusqu’alors occupé par un parking et par le dépôt de charbon de l’ancienne centrale électrique de l’usine, l’« Autostadt » comprend notamment huit pavillons dévolus aux grandes marques du groupe. Volkswagen, Lamborghini, Audi, Seat, Skoda, Porsche, Bugatti et les véhicules utilitaires ont tous un bâtiment dans lequel sont présentés leurs tout derniers modèles. Ce site, qui a nécessité un investissement de 430 millions d’euros, abrite aussi un superbe musée dans lequel sont exposés 200 modèles d’une cinquantaine de marques différentes. Pour comprendre les différentes étapes de fabrication d’une voiture, les visiteurs peuvent effectuer en petit train une visite guidée de l’énorme usine en brique brune de VW qui produit quotidiennement entre 3000 et 3500 Golf, Tiguan et autres Touran. Ces chaînes de montage construites sur plusieurs niveaux couvrent près de 6,5 km², soit une superficie semblable à celle de Gibraltar.La « cité de l’automobile » est aussi un lieu de rendez-vous pour les nouveaux clients du groupe allemand. Chaque jour, près de 550 automobiles sont récupérées sur ce site par leurs nouveaux propriétaires. « 38 % des VW qui sont vendues en Allemagne sont remises ici », commente Bart Weymaere, un Belge qui guide les touristes de passage. « Plus de 200 000 véhicules sont ainsi remis chaque année à leurs acheteurs. »Le succès du « temple de Volkswagen » a dépassé de loin les attentes de ses promoteurs. « Tout avait été prévu pour accueillir un million de visiteurs par an, rappelle Bart Weymaere. Mais les journalistes disaient à l’époque que nous pourrions nous estimer heureux avec une fréquentation de 500 000 personnes. Toutes ces estimations se sont révélées bien trop prudentes. Les douze premiers mois, nous avons reçu 2,3 millions de curieux ! » En dix ans, ce sont plus de 20 millions de passionnés de l’automobile qui se sont rendus à Wolfsburg.
Frédéric Therin
Les musées d’entreprise, pour donner du sensPatrimonialisation. L’intérêt des constructeurs automobiles allemands pour de tels lieux n’est pas innocent. Ils ont en effet compris qu’ils avaient tout intérêt à valoriser leurs racines souvent anciennes et pour la plupart familiales. « Posséder un musée a un certain sens pour des compagnies patrimoniales qui ont comme caractéristiques essentielles leur pérennité, leur histoire et la préservation de leur patrimoine », analyse Valérie Tandeau de Marsac, une avocate du cabinet Jeantet Associés qui collabore avec de nombreuses sociétés familiales. « Mettre en avant son passé donne de la profondeur et un véritable contenu à une entreprise. » Les géants du luxe ont montré l’exemple. « Les gens sont de plus en plus friands de culture et de sens et c’est ce que nous tentons de leur apporter dans nos musées », résume Agnès Webster, la présidente de Fragonard, un parfumeur qui possède des musées à Paris et à Grasse (Alpes-Maritimes). Pascal Blanchard a fait le même constat au fil des ans. « Lorsque les Chinois viennent dans le bordelais, la première chose qu’ils demandent à visiter sont les musées des viticulteurs mais il n’en existe pas », explique le directeur de l’agence de « communication historique » (sic) Les Bâtisseurs de mémoire, qui a travaillé pour plusieurs musées d’entreprise comme celui de Cointreau, de La Vache qui rit et de Metaxa. « C’est une erreur car si vous parvenez à montrer que vous fabriquez un produit d’exception aux racines très anciennes, les consommateurs accepteront de payer très cher vos articles et ils seront prêts à faire deux ou trois heures de route pour visiter votre musée. C’est une chance exceptionnelle aujourd’hui de voir des particuliers faire l’effort de se déplacer chez vous alors que les entreprises ont de plus en plus de mal à avoir des contacts directs avec leurs consommateurs en raison de l’essor d’Internet. »Les Asiatiques sont tout particulièrement avides des musées d’entreprise. « Au Japon, toutes les sociétés ouvrent leur musée dès leur création afin de présenter leurs produits et leur savoir-faire à leurs clients et au grand public, constate Pascal Blanchard.
Frédéric Therin
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Allemagne, le succès fou des musées de constructeurs automobiles
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Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°515 du 18 janvier 2019, avec le titre suivant : Allemagne, le succès fou des musées de constructeurs automobiles