L’artiste Ahmed Fouad Selim est directeur du centre d’art « Akhnaton Gallery » au Caire. Après avoir exposé dans le pavillon égyptien de la Biennale de Venise en 1993, il est aujourd’hui le commissaire général de la 8e Biennale internationale du Caire. Dans cet entretien, il revient sur cet événement et le replace dans le contexte égyptien.
Quand la Biennale du Caire a-t-elle été crée ?
À la fin des années 1970, j’ai eu l’idée de créer une Biennale au Caire. À cette époque, il n’y avait pas d’événement culturel international entendu dans ce sens en Afrique, ni même dans le monde arabe. J’ai pensé qu’il serait important de voir, examiner, discuter et expérimenter la culture, son implication locale et de dialoguer avec l’autre, peu importe qui il est. Cette Biennale a eu lieu pour la première fois en 1984. Il en existe en Égypte une autre depuis 1954, à Alexandrie, mais elle est uniquement réservée aux pays du pourtour méditerranéen. La Biennale du Caire est la seule à dépasser ces frontières pour être réellement internationale.
Chaque pays participant est-il libre d’inviter ses artistes ?
Oui, chaque pays peut choisir des artistes, quels que soient leur style ou leur technique. Mais la Biennale lance aussi ses propres invitations, en dehors de la sélection officielle. Pour cette édition, nous avons convié plus de quarante artistes étrangers, comme l’Anglaise Tracey Emin.
Combien d’artistes participent à la Biennale ?
En comptant les participations officielles et les invitations de la Biennale, 224 artistes exposent au Caire. Cette fois-ci, cinquante et un pays sont représentés. Beaucoup de professionnels viennent aussi de l’étranger pour voir ce qui se passe ici.
Qui finance la manifestation ?
95 % du budget provient de l’État égyptien. Dans ce pays, les hommes d’affaires n’éprouvent pas le sentiment que le mécénat, le soutien des arts ou de la culture font partie de leurs devoirs. Nous devons attendre devant la porte de ces sociétés pour attirer leur attention. De plus, elles ont du mal à comprendre les arts plastiques et ne conçoivent pas que cela puisse être important. Elles nous aideraient en revanche volontiers si nous organisions des manifestations populaires, comme des matches de football ! Pour cette édition, seule une entreprise, Alcatel, a sponsorisé trois prix. Pour la précédente Biennale, l’Unesco avait également financé des prix. Mais le mécénat reste jusqu’à présent rare en Égypte.
Quel est votre budget ?
Il se situe entre 2,5 et 3 millions de livres égyptiennes (4,7-5,7 millions de francs). Ce montant peut apparaître comme non négligeable, mais le commissaire général de la Biennale d’Istanbul, par exemple, dispose de bien plus. Notre budget doit nous permettre de payer le transport et l’assurance des œuvres de nos invités d’honneur. Certains maîtres de l’art du XXe siècle acceptent de venir en Égypte, tel Joseph Kosuth, ou des artistes Cobra comme Carl-Henning Petersen ou Corneille. Cette année, nous avons par exemple invité Arman qui était ravi de venir. Mais nous avons connu des soucis financiers. Le gouvernement français était prêt à payer pour l’envoi et l’assurance de ses sept statues. Mais Arman m’a écrit qu’il ne voulait pas bénéficier de financement de l’État français. Il m’a dit exactement : “Je suis indépendant et je ne veux pas bénéficier de ce type d’aide.” J’ai été très triste et cela a été un choc pour moi. Je me réjouissais d’exposer Arman et plus particulièrement certaines pièces de ces dix dernières années. Sur les sept œuvres qui devaient être présentées, deux avaient été spécialement réalisées pour la Biennale du Caire. Je respecte sa décision et j’étais déçu pour la Biennale que nous n’ayons pas suffisamment d’argent pour bien faire notre travail.
Quels sont les prix que décerne la Biennale ?
Nous avons tout d’abord un Grand Prix de 40 000 livres égyptiennes (75 500 francs). Cinq prix, les Prix de la Biennale, sont chacun dotés de 20 000 livres égyptiennes (38 000 francs). Viennent ensuite les trois Prix Alcatel d’un montant unitaire de 10 000 livres égyptiennes. Chacun des sept membres du jury a le droit de choisir un artiste et de lui remettre 7 000 livres égyptiennes. Ensuite, il est décerné un prix au meilleur pavillon. Daniel Abadie, le directeur de la Galerie nationale du Jeu de Paume, à Paris, est cette année le président du jury composé de Gioia Mori, le fondateur de Art e Dossier en Italie, de la critique d’art milanaise Martina Corgnati, de deux critiques d’art espagnols, Rafael Sierra et Rosa Martinez, de Salima Hashmi, du Pakistan, et d’Ahmed Morsi, un Égyptien vivant à New York.
Vous êtes artiste. Pensez-vous que ce soit un atout pour être commissaire général d’une manifestation comme la Biennale du Caire ?
Je crois qu’un commissaire artiste est bien meilleur s’il est ouvert d’esprit, avec une bonne expérience, et capable d’être objectif. Les critiques d’art sont comme les artistes, ils peuvent parfois être partisans.
En Égypte, le ministre de la Culture, Farouk Hosni, est également peintre. Les artistes occupent des postes importants dans ce pays.
C’est assez encourageant. Nous pouvons très facilement contacter le ministre et il comprend nos préoccupations. Parfois, il nous aide quand nous avons des problèmes d’œuvres bloquées dans le port d’Alexandrie.
Quel est le public de la Biennale ? La population en général ou plutôt les artistes qui vivent ici ?
Cette Biennale du Caire est destinée aux deux. Elle a eu beaucoup d’influence sur les gens et les associations culturelles dans le monde arabe. Elle tend aussi à changer quelques concepts, aspects et croyances traditionnelles. De l’autre, elle est très importante pour les professionnels de l’art qui doivent apprendre à voir, à comparer leur expérience, et lier un dialogue avec des artistes internationaux. Ils doivent changer leur méthode d’enseignement où l’académisme artistique s’apparente à celui du XIXe siècle. Ils doivent comprendre qu’ils sont en train de se couper du monde. Ce changement est l’un de mes buts. Les médias sont mon autre objectif. Les gens devraient être informés, même s’ils n’ont pas besoin qu’on leur dise ce qu’ils doivent voir. Mais s’ils voient les choses, ils les prendront en compte. Même les analphabètes ont une sensibilité. Les habitants des campagnes ont une culture sans avoir eu la chance de pouvoir apprendre à lire ou à écrire.
La Biennale montre que la peinture figurative est très prisée par les artistes du monde arabe.
En effet, l’art abstrait ou les installations sont même rejetés par de soi-disant critiques d’art. Ils préféreraient que ces artistes retournent à l’art figuratif. D’ailleurs, la plupart des universités et des écoles d’art n’enseignent ici que la figuration. Si l’on parle de nudité, nous vivons des temps difficiles depuis 1975. Ici, toutes les écoles des beaux-arts avaient des modèles nus, hommes et femmes. Parfois, ils étaient même salariés par le gouvernement. Après 1975, un mouvement s’est créé, relayé par les Frères musulmans et les politiciens. Ces derniers pensaient alors qu’il s’agissait du seul moyen de se protéger des communistes. Nous avons enduré de lourds sacrifices et nous en payons encore aujourd’hui le tribut. Ils ont réussi à influencer les jeunes, les écoles des beaux-arts, les universités qui ont aussi commencé à compter dans leur rang des extrémistes religieux. En réaction, les étudiants ont demandé à ne plus avoir d’enseignement de nu dans les écoles. Mais cette situation découle directement d’une mauvaise lecture de la religion. Aujourd’hui, nous nous battons très durement contre les religieux. C’est la culture contre la culture, l’art contre l’art, concept contre concept... Nous verrons qui gagnera. C’est pourquoi nous demandons à la télévision, aux journaux de les combattre pour gagner du terrain, de chercher la bonne croyance, de montrer l’importance de la culture dans ce pays.
Quelle est la situation actuelle de l’art en Égypte ?
Par rapport à il y a vingt ans, nous avons de bons collectionneurs, des gens qui peuvent voir de l’art et en acheter. C’est très bien pour les artistes. Nous avons en Égypte environ 12 000 plasticiens, mais, concrètement, soixante-dix comptent vraiment. Avec cette Biennale, nous voulons changer les concepts traditionnels qui bloquent toute évolution.
L’accès à la totalité de l’article est réservé à nos abonné(e)s
Ahmed Fouad Selim, son commissaire, s’explique
Déjà abonné(e) ?
Se connecterPas encore abonné(e) ?
Avec notre offre sans engagement,
• Accédez à tous les contenus du site
• Soutenez une rédaction indépendante
• Recevez la newsletter quotidienne
Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°124 du 30 mars 2001, avec le titre suivant : Ahmed Fouad Selim, son commissaire, s’explique