« Madame, ne passez jamais la tête haute dans notre bonne vieille rue car vous n’en êtes pas digne. » Tranquillement assise sur un fauteuil chez son coiffeur, Agnès Varda se filme elle-même pendant une couleur. Elle lit à son coiffeur le contenu d’une lettre qu’elle avait reçue quand elle avait sorti en 1975 Daguerréotypes, un film sur la rue Daguerre où elle vit depuis 50 ans. Pour les besoins des « boni » de l’édition en DVD qu’elle vient de sortir avec Cléo de 5 à 7, la cinéaste nous entraîne à nouveau à la rencontre des commerces et des commerçants qu’elle avait filmés. Une mise en abyme de la mémoire.
Le Paris d’Agnès Varda
Agnès Varda adore les gens. Les gens simples de préférence, ceux que l’on appelle les « petites gens ». Elle ne peut se passer d’aller au-devant d’eux. Elle aime les entendre lui raconter leur histoire et elle n’a pas son pareil pour les filmer.
Qu’elle donne dans la fiction comme avec Sans toit ni loi – Lion d’Or au Festival de Venise en 1985 – où elle dirige une jeune Sandrine Bonnaire en vagabonde errant en quête de sa propre identité, ou qu’elle donne dans le documentaire comme avec Les Glaneurs et La Glaneuse (2000) où elle suit ces nécessiteux qui vivent des restes des autres, il y a toujours chez Varda une compassion pour autrui.
Agnès adore les gens. Elle ne peut pas faire autrement. C’est sa nature et ça fait 77 ans que ça dure. Rue Daguerre, Varda est chez elle et elle s’y promène la tête haute n’en déplaise à quelques grincheux. Elle s’y est installée de part et d’autre de la chaussée : côté pair, la maison avec sa cour et sa végétation et les bureaux voisins de sa boîte de production, Ciné Tamaris ; côté impair, son studio de montage avec vitrine sur la rue pour ne pas être coupée du monde.
Le XIVe, entre Denfert et Alésia, c’est une géographie qui lui est chère. Non seulement elle y vit, mais elle en a fait le cadre de diverses séquences de ses films. De la fameuse scène de Cléo – où Corinne Marchand rencontre Antoine Bourseiller dans le parc Montsouris – à ces 12’ inédites d’un Lion volatil (2003) autour de la place Denfert-Rochereau qui conte une brève histoire de cœur et que l’on trouve également dans les boni. Tout comme L’Opéra Mouffe, un autre court-métrage quasi méconnu de 1958, étonnant carnet de notes d’une femme enceinte dans le quartier de la rue Mouffetard.
Le refuge d’une île
Mais Paris n’est pas le seul endroit élu de l’artiste. Il y a aussi l’île de Noirmoutier, découverte avec Jacques Demy dès 1962 et où elle a ancré sa maison de famille. Après Patatutopia, la première vidéo qu’elle a réalisée et qui a été présentée à la Biennale de Venise en 2002, les deux suivantes – Les Veuves de Noirmoutier et Le Triptyque de Noirmoutier (2004) – qu’Agnès Varda a tournées dans l’île l’ont définitivement introduite dans le monde des artistes plasticiens. L’usage qu’elle fait des technologies nouvelles et son sens de la mise en espace y sont au service d’une approche des gens de la mer d’une rare sensibilité. Sans parler de l’éminente maîtrise qu’elle a de l’image, de sa « couleur » et de sa composition, qui lui permet de transformer le plus humble en figure hautement symbolique.
1928 Naissance à Ixelles en Belgique. 1949 Rencontre avec Jean Vilar, elle fréquente les acteurs du TNP et photographie Gérard Phillipe et Maria Casarès. 1954 Réalisation de son premier court-métrage La Pointe courte, avec Philippe Noiret. 1958 Rencontre avec son compagnon Jacques Demy, réalisateur et metteur en scène, au festival de Tours. 1990 Décès de Jacques Demy pendant le tournage du film Jacquot de Nantes qu’Agnès Varda lui consacrait. 2002 Première vidéo à la Biennale de Venise. 2005 Membre du jury au Festival de Cannes.
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Agnès Varda, au plus près des gens...
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Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans L'ŒIL n°578 du 1 mars 2006, avec le titre suivant : Agnès Varda