Indonésie - Biennale

ART CONTEMPORAIN

Jogja 2023, une biennale indonésienne très politique

Par Rémy Jarry, correspondant en Asie · Le Journal des Arts

Le 9 novembre 2023 - 776 mots

Sur l’île de Java, la 17e Biennale d’art Jogja crée des liens artistiques entre des pays ayant appartenu autrefois au mouvement des non-alignés.

Jompet Kuswidananto, Anno Domini, 2011, vue de l’installation à la Biennale de Yogyakarta. ©
Jompet Kuswidananto, Anno Domini, 2011, vue de l’installation à la Biennale de Yogyakarta.
© Biennale Jogja 17

Indonésie. Située sur l’île de Java, la ville de Yogyakarta est considérée comme la capitale artistique et culturelle de l’Indonésie. Créée en 1988, la manifestation culturelle a évolué pour devenir la Biennale Jogja, dans son format actuel, à partir des années 2000. L’édition 2023 s’étend sur 13 sites et rassemble 70 artistes venus d’Asie, d’Europe et d’Océanie. Alia Swastika, directrice de la fondation qui organise la biennale, est également la coordinatrice de l’équipe de commissaires qui compte notamment Nataša Petrešin-Bachelez, responsable de la programmation culturelle de la Cité internationale des arts à Paris.

Une lecture artistique du mouvement des non-alignés

L’un des partis pris de cette biennale est le pont établi entre l’Asie du Sud-Est et l’Europe de l’Est. Ce lien fait référence à la conférence de Bandung (Indonésie) de 1955 et au mouvement des non-alignés, pour en donner une relecture artistique et contemporaine. Cet ancrage géopolitique se traduit dans les œuvres exposées comme Spectre (2012), une vidéo d’Ibro Hasanovic, artiste d’origine bosniaque installé à Paris. Il y explore l’épave du Galeb, un ancien navire de la marine yougoslave et symbole des heures de gloire de Josip Broz Tito, président de l’ex-Yougoslavie. Aux côtés de Sukarno, premier président de l’Indonésie après son indépendance, ils furent deux des principaux initiateurs du mouvement des non-alignés. Autre référence : Beacons (2023), une vidéo de Jasmina Cibic, artiste d’origine slovène installée à Londres, revient de manière originale sur la condition des femmes en marge du sommet du mouvement des non-alignés de 1985. Cette approche géopolitique de l’art s’applique aussi à d’autres zones, comme le Népal qui compte une douzaine d’artistes, ainsi que deux des quatre commissaires d’exposition : Sheelasha Rajbhandari et Hit Man Gurung.

Intitulée « Titen: Embodied Knowledges, Shifting Grounds » (« Titen : savoirs incarnés, territoires en mouvement »), la biennale s’est inspirée du mot javanais titen signifiant l’aptitude à interpréter les phénomènes naturels pour s’y conformer. Le mot acquiert une signification contemporaine au regard de l’équilibre de plus en plus précaire entre l’homme et la nature. Cet aspect est particulièrement présent dans les trois installations de l’artiste M. Irfan qui se distinguent par leur esthétique composite et polysensorielle. Cette conceptualisation vernaculaire cherche également à faire écho à la Documenta 15 (marquée par un scandale antisémite et raciste en 2022), dont la direction artistique fut confiée au collectif indonésien Ruangrupa. Afin de dépasser la controverse, Alia Swastika a souhaité replacer l’esprit de communauté et de partage dans son pays d’origine. On compte ainsi la présence d’une douzaine de collectifs d’artistes. Cela s’accompagne de résidences comme celle accordée à l’Indienne Alyen Leeachum Foning, qui a collaboré avec le collectif Matrahita de Yogyakarta. Intitulée Eikam-Interconnected (2023, voir ill.), leur installation est une redécouverte des racines communes entre les cultures himalayenne et javanaise, dont les échanges séculaires sont attestés par l’indianisation et la présence de moines bouddhistes tibétains avant l’arrivée de l’Islam et la colonisation de l’archipel par les Pays-Bas.

Cette empreinte « décoloniale » n’est pas dépourvue d’autocritique : les installations d’Endang Lestari, de Natasha Tontey, et d’Ela Mutiara examinent à leur manière la difficile condition des femmes indonésiennes. Celle de l’artiste indonésien Jompet Kuswidananto, Anno Domini (2011, voir ill.), évoque le pouvoir dictatorial à l’instar de Heri Dono, figure tutélaire de la scène artistique indonésienne, qui a recréé les œuvres de son exposition censurée en 1996 au sein de la galerie Tirtodipuran Link, en marge de la biennale. On note par ailleurs une attention particulière au rééquilibrage de la centralité javanaise (« Java-centrism », selon le propre terme d’Alia Swastika) par rapport au reste de l’archipel grâce à une sélection d’artistes venus des îles de Sumatra, des Célèbes et de Papouasie, entre autres.

Implication de la diplomatie française

La biennale est principalement financée par les autorités indonésiennes. Cela laisse toutefois la possibilité de partenariats complémentaires avec des mécènes privés et les réseaux consulaires. À cet égard, la France est en première ligne avec la présence au vernissage de plusieurs représentants de l’ambassade et de l’Institut français. Ce soutien s’inscrit dans le cadre de la stratégie de la France dans l’Indopacifique. L’Indonésie est perçue comme une puissance régionale incontournable par la diplomatie française l’incitant à déployer un volet culturel et artistique dans le pays. Alia Swastika a ainsi reçu le soutien de l’Institut français pour une résidence à la Cité internationale des arts à Paris en amont de la biennale. On note par ailleurs l’implication d’autres pays comme l’Allemagne ou le Japon, mais pas des États-Unis, ni de la Chine ; une absence qui donne d’autant plus de consistance au non-alignement artistique promu par l’Indonésie.

17e Biennale Jogja 2023,
jusqu’au 25 novembre, dans divers lieux à Yogyakarta, Indonésie. www.biennalejogja.org

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Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°620 du 3 novembre 2023, avec le titre suivant : Jogja 2023, une biennale indonésienne très politique

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