Argentine - Politique culturelle

En Argentine, la Culture taillée à la tronçonneuse

Par Anaïs Bocquet, à Buenos Aires · Le Journal des Arts

Le 17 mai 2024 - 655 mots

Javier Milei, le nouveau président argentin, a notamment annoncé la fin de la gratuité des musées nationaux.

Javier Milei, président de l'Argentine © Presidency of Armenia, 2023, CC BY-SA 3.0
Javier Milei, président de l'Argentine.

Buenos Aires. C’est la fin d’une fierté péroniste, celle de l’accès pour tous à la culture. Liliana Barela, sous-secrétaire au patrimoine, annonçait le 28 février dernier, dans un entretien accordé au quotidien La Nación, une série de réformes concernant les 26 musées nationaux (l’Argentine compte par ailleurs un millier de musées appartenant aux Provinces), dont la fin de leur gratuité. « Il y aura des prix différenciés entre étrangers et résidents, et une journée gratuite pour tout le monde, comme c’est le cas dans le reste du monde. Ce dont nous avons besoin, c’est que l’argent collecté aujourd’hui dans les musées puisse être utilisé pour répondre aux besoins urgents de chaque musée », affirmait-elle. Andrés Duprat, actuel directeur du Musée des beaux-arts de Buenos Aires, commentait ainsi cette décision : « Beaucoup d’étrangers s’étonnent que l’entrée soit gratuite. Les revenus issus de cette activité permettront de contribuer à la conservation et à l’acquisition des œuvres, ainsi qu’à l’équipement et à l’amélioration du bâtiment, puisqu’il est difficile de maintenir la qualité, les infrastructures et la sécurité d’un musée. »

Le gouvernement se garde bien d’estimer le montant des recettes nouvelles liées à l’instauration d’une billetterie payante, surtout dans un pays où le taux d’inflation mensuelle est à deux chiffres. En 2022, 2,5 millions de visiteurs sont entrés dans les musées nationaux. Mais si on estime que 500 000 visiteurs (touristes et locaux) acceptent de payer l’équivalent de 2 euros (soit 1 900 pesos), cela représenterait 1 milliard de pesos, à comparer aux 5 milliards de pesos du budget fédéral alloué aux musées nationaux, soit 16 %.

Suspension de tout chantier patrimonial

Aucun calendrier n’a encore été annoncé, mais la volonté du gouvernement est claire : réduire drastiquement les dépenses publiques. Au-delà de la tarification de l’entrée des musées nationaux, tout chantier lié au patrimoine historique a été suspendu jusqu’à nouvel ordre, et les établissements culturels ont été invités à se mettre à la recherche de fonds privés. « No hay plata » (« il n’y a pas d’argent ») était le slogan du président ultralibéral argentin, Javier Milei, au cours de sa campagne présidentielle. « L’ère de l’État-providence est terminée », a-t-il récemment déclaré lors d’une intervention à la télévision. L’heure de la politique d’austérité a bel et bien sonné pour mettre fin aux dettes abyssales de l’Argentine, pays dont l’inflation endémique a atteint plus de 211 % en 2023. Du Travail à la Santé en passant par l’Éducation, toutes les dépenses publiques sont en passe d’être coupées à la tronçonneuse, emblème du candidat d’extrême droite, et la Culture n’est pas en reste.

La présentation en janvier de la loi dite « omnibus » proposait une véritable thérapie de choc composée de plus de 664 articles pour réformer tous azimuts. La projet étant loin de faire l’unanimité, une seconde version a dû être présentée dans laquelle certains articles ont été supprimés, parmi lesquels ceux qui annonçaient la fermeture du Fonds national des arts et de l’Institut national du théâtre. Si certaines institutions sont épargnées, l’Incaa, l’Institut national du cinéma et des arts audiovisuels (dont 231 employés ont été licenciés) subit une profonde réorganisation interne et une baisse des budgets alloués.

Dans les musées nationaux, neuf nouveaux directeurs ont été nommés (sans concours préalables comme il est pourtant d’usage) et neuf des dix personnes de la Commission nationale des monuments historiques ont été remplacées. La politique d’austérité du secrétariat de la Culture, qui dépend maintenant du « ministère du Capital humain » (regroupant la famille, l’éducation, le travail et la fonction publique), a entraîné le licenciement de plus 600 personnes, selon le secrétaire général du syndicat ATE, Nicolás Rodríguez Saá. Plan de départ volontaires à la retraite et non-renouvellement des contrats sont à l’ordre du jour. Le 26 mars dernier, lors du Forum économique international des Amériques, Javier Milei s’était enorgueilli d’avoir licencié plus de 50 000 fonctionnaires avant d’annoncer plus de 70 000 licenciements supplémentaires.

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°633 du 10 mai 2024, avec le titre suivant : La Culture taillée à la tronçonneuse

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