PARIS [26.10.15] - Pour sa troisième exposition personnelle à la galerie Anne De Villepoix, l’artiste chinois invite à un voyage hypnotique, entre conte et actualité.
L’émigration et les drames qui l’accompagnent sont devenus une réalité dont les médias charrient un flot quasi ininterrompu d’images et de témoignages. Le peintre Xie Lei s’est emparé de cela pour imaginer une très grande toile offrant le spectacle d’une barque surpeuplée, voguant sur la mer, dans l’obscurité. Mais pour cet artiste quarantenaire né en Chine, installé à Paris depuis 2006 et actuellement en doctorat à l’Ecole des Beaux-Arts, il ne s’agit en rien de retranscrire l’actualité mais plutôt d’en faire le point de départ d’une dérive vers d’autres horizons.
Dériver pour sonder l’humanité dans son ensemble, pour sonder des angoisses ancestrales et intemporelles liées à l’exil, au voyage, à la mort. Et ces angoisses ne pouvaient que trouver une résonance singulière chez ce peintre qui a quitté son pays voilà presque 10 ans. « Je sens que je suis l’étranger de l’étranger » confie-t-il. « Quand je retourne en Chine, je me sens aussi étranger. »
Cette barque surpeuplée qui fonctionne comme le pivot de l’exposition s’accompagne de toute une série d’autres toiles. Peintes dans des tonalités similaires de rose, bleu et violet qui rappellent les couleurs de nos écrans d’ordinateurs, ces peintures à l’huile sont comme autant de visions qui s’entrechoquent et qui font signe vers un naufrage. Une étendue d’eau sur laquelle flottent des masses sombres qui pourraient bien être des corps, un homme inerte en gros plan ou un autre corps portée par une bouée... Comme dans ce moment de la journée dit « entre chien et loup », les formes résistent à une identification immédiate, plongeant le spectateur dans une incertitude. Le travail sur la lumière et les couleurs pourraient faire penser à certains peintres symbolistes comme Gustave Moreau. Il y a dans ces scènes quelque chose de post-apocalyptique. Une ombre funeste plane. On pense au mythe de Charon chargé de conduire sur sa barque les âmes défuntes vers le séjour des morts. Une image de la mort qui se retrouve également en Chine où la mort est appréhendée comme passage d’une rive à une autre…
Le travail pictural de Xie Lei s’apparente à un lent travail de décantation des images qui l’assaillent, une photographie, une image de film, un souvenir vécu... « Quand j’entame un tableau, j’ai toujours des fragments dans ma mémoire. C’est comme si je puisais dans une bibliothèque d’images que je réinterprète, que je détruis, reconstruis. » explique-t-il. Sans aucun doute, il fait partie de cette génération de jeunes peintres qui ont digéré les bouleversements introduits par Internet, et qui consomment des images de manière chaotique et rhizomique. Pour autant, il ne s’agit pas de coller à l’immédiateté induite par ces bouleversements technologiques, mais au contraire de la contrer et de prendre le temps. Prendre le temps pour laisser advenir sur la surface de la toile des visions. Et c’est là toute la force du travail de cet artiste, croire en la puissance de la peinture d’être visionnaire, de donner accès à l’invisible.
Au centre de l’exposition, sur un mur peint en bleu, une quinzaine de petits formats fonctionnent telles des images en flash-back qui viendraient nous hanter. Dominé par des visages sans yeux à l’instar de ce masque antique évoquant le mythe d’Œdipe, cet ensemble interroge notre capacité à voir. Et peut-être n’est-ce pas un hasard si le parcours débute et se clôt par un étrange diptyque, un mur de sacs en toile blanche sur lesquels on finit par deviner des visages. La réalité n’est jamais tout à fait ce que l’on croit.
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Les visions hallucinées de Xie Lei à la galerie Anne De Villepoix
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Abonnez-vous dès 1 €Galerie Anne de Villepoix, 43 rue de Montmorency, 75003 Paris, jusqu’au 31 octobre, du mardi au samedi de 10h à 19h, www.annedevillepoix.com
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Vue de l'exposition « Sans rivage » de Xie Lei © Courtesy Galerie Anne de Villepoix & Xie Lei