SINGAPOUR [17.09.15] - De passage à Singapour pour présenter le spectacle « Cabanons », spectacle de cirque né de la collaboration entre Daniel Buren et Dan et Fabien Demuynck, les pionniers du nouveau cirque, l’infatigable artiste de 77 ans partage avec Le Journal des Arts son admiration pour le monde du cirque mais aussi ses coups de gueule contre le marché de l’art.
Vous êtes à Singapour, que vous inspire cette ville ?
J’ai pu observer l’évolution de cette ville car j’y suis venu régulièrement. Quand on voit des villes qui se développent si vite et en si peu de temps, on ne peut s’empêcher d’avoir une réflexion sur l’énergie qui est presque frénétique ici. La singularité de Singapour au niveau architectural, c’est ce mélange de coups d’éclats innovants et de conservatisme. Une sorte de folie contenue. Lorsque je regarde les immeubles, je me dis qu’ils pourraient être extravagants mais en réalité ils ne le sont pas. C’est comme si on voulait montrer qu’on était capable d’être innovant mais en gardant une certaine retenue. Le seul bâtiment qui m’interpelle vraiment c’est le Marina Bay Sands, car là il y a une fantaisie architecturale qu’on aimerait voir partout.
Qu’est-ce que cela vous apporte de travailler avec le monde du cirque ?
C’est l’occasion de faire des choses inhabituelles, d’inventer des jeux sur l’espace et cela me force aussi à me renouveler. C’est en réfléchissant sur cette notion d’espace qu’est née il y a 3 ans l’idée des cabanons, permettant de faire des spectacles dispersés dans les villes ou les villages. Les structures sont assez simples avec un socle cubique de couleur bleu foncé, bleu clair, bleu vert sur lequel repose le toit du chapiteau de couleur orange, rouge et jaune. J’ai gardé le cercle de la piste de cirque que j’ai installé dans un cube. Il ne reste donc que les coins pour s’asseoir. Dans ce système tout tient par le haut, il n’y a aucun poteau laissant ainsi une grande liberté de mouvement aux acrobates. Dans la structure initiale, le spectateur est assis et les acrobates passent d’un cabanon à l’autre. Ce que j’aime aussi dans ce travail, c’est la possibilité d’explorer. J’ai installé des grands miroirs qui descendent sur la piste. Ils ne sont pas en verre mais dans un nouveau matériau permettant d’assurer une sécurité maximale. J’utilise aussi beaucoup les moustiquaires, c’est un matériau magnifique. On les fait faire en Afrique.
Il y a un contraste entre l’anonymat du monde du cirque et votre notoriété, comment les deux coexistent ?
En apprenant à travailler avec les gens du cirque, j’ai vraiment réalisé à quel point ils faisaient un métier très difficile. Pour certains, ils risquent leur vie à chaque numéro, ils se mettent en danger et tout en étant très mal payés. Le cirque c’est aussi l’humilité. Dans une troupe de cirque, vous savez tout le monde s’y met. Chacun est exceptionnel et pourtant ils sont tous anonymes. J’ai la chance de travailler avec Dan Demuynck, les pionniers du nouveau cirque mais c’est difficile de percer, d’être invité pour présenter les spectacles. Quand il y a eu cette invitation de Singapour, c’était vraiment une très belle opportunité.
Le monde du cirque vous inspire davantage que le monde de l’art aujourd’hui ?
Le milieu artistique est en décrépitude. Il n’y a plus aucun intérêt à rien et l’argent a considérablement perturbé la qualité des choses qui sortent. Il y a d’un côté des choses médiocres car l’art est devenu pour certains une facilité et les gens qui achètent de l’art sont grotesques. Il s’agit de nouveaux riches et d’ignorants, c’est un phénomène mondial et c’est un vrai problème pour le monde de l’art car les artistes travaillent désormais pour un goût ignorant. Depuis une vingtaine d’années, il n’y a plus de hiérarchie. On met aujourd’hui au même niveau Bernard Buffet et Carl André. Dans la même exposition on peut très bien retrouver aujourd’hui Gilbert & Georges et David Hockney. Aujourd’hui le prix est le seul critère pour évaluer des artistes. C’est la réussite commerciale qui fait qu’on parle d’un artiste ou pas. Je ne dis pas qu’il n’y a plus de démarche intellectuelle qui sous-tend le monde de l’art mais malheureusement elle est souterraine. Pour illustrer à quel point on est tombé bas, prenez la Biennale de Venise. C’est une catastrophe intellectuelle. On pense que l’on peut faire le spectacle dans une exposition. Pourquoi aujourd’hui trouve t-on de meilleures choses dans les foires commerciales comme Bâle qu’à la foire de Venise ou à Documenta ? C’est une grande faiblesse.
Ce monde de l’art que vous fustigez vous en êtes pourtant un acteur à part entière ?
Je suis un artiste mais je n’ai jamais vendu. Je n’ai pas suivi le marché. Je me fais payer pour être invité, je reçois des honoraires pour participer à une exposition. Je viens d’une génération, que ce soit en Europe ou aux Etats-Unis qui partageait un certain idéalisme. Lorsqu’on a commencé, aucun d’entre nous pensait qu’il vivrait de son art.
Où en êtes-vous dans votre bras de fer avec la ville de Lyon ?
Je m’étais déjà battu à Paris et finalement tout a été refait. A Lyon cela fait 13 ans qu’on me dit qu’on va faire quelque chose et finalement il ne se passe rien. Il n’y a qu’une possibilité c’est attaquer la ville mais ce n’est pas une procédure qui se prend à la légère.
Après Singapour, quels sont vos autres projets ?
Les projets sur lesquels je travaille sont des projets de long terme. Je travaille par exemple depuis 8 ans sur un projet dans le métro de Londres à la station Tottenham Court, j’ai aussi un projet à Tokyo pour un immeuble de bureau. Deux artistes ont été invités pour refaire tout le parvis et moi je m’occupe de l’entrée. Ce sera prêt dans un an je pense. Je serai également à la foire de Chicago les 16 et 17 septembre.
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Daniel Buren : « le milieu artistique est en décrépitude »
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Abonnez-vous dès 1 €Daniel Buren (2011) © Photo Benoît Linero pour L'oeil