Un regard d’exil

Jorge Semprun signe un accrochage au Musée Bonnat

Par Olivier Michelon · Le Journal des Arts

Le 27 août 1999 - 615 mots

Pour renouveler son accrochage, le Musée Bonnat, à Bayonne, a fait appel à Jorge Semprun. En mêlant le regard de l’écrivain à une présentation thématique des toiles, le musée adopte une optique originale en regard des dispositions dictées par l’histoire de l’art, et fait le pari de mettre sa collection entre les mains de ses visiteurs.

BAYONNE - “Bayonne est pour moi une ville privilégiée. C’est là que je suis arrivé en 1936 sur un chalutier en provenance de Bilbao ; pour moi, la France, c’est d’abord le kiosque à musique de Bayonne. Ensuite, pendant des années, cette ville est devenue la dernière ville française, un point de départ pour rentrer clandestinement en Espagne.” L’Espagne vue de la France, et vice versa. La ville basque est perçue par Jorge Semprun parallèlement à son parcours. L’écrivain, le militant et l’homme d’État pose aujourd’hui ce regard sur les collections du Musée Bonnat. Expérience permise par l’invitation de Vincent Ducourau, conservateur en chef, heureux d’avoir trouvé un complice pour rompre avec l’accrochage prétendument objectif de l’histoire de l’art.

Convié “à faire son marché” dans les réserves du musée, Jorge Semprun a choisi un ensemble éclectique, agrémenté de travaux contemporains de ses amis Eduardo Arroyo et Eduardo Chillida. “L’attirance du Sud” constitue le thème fédérateur de ce choix qui se déroule en cinq temps, de l’Espagne à l’Orient mystérieux. À travers le parcours d’un exilé et son “regard fait de tendresse exigeante, de nostalgie parfois ironique, ou souriante”, symbolisés par le triptyque d’Arroyo Réflexions sur l’exil, 1939-76, France et Espagne se font face dans le patio du musée. Le Duc d’Osuna, peint par Goya, jouxte un portrait de Napoléon de Girodet – les deux hommes se sont d’ailleurs déjà croisés à Bayonne, en 1808, lors de l’abdication des souverains d’Espagne face à l’Empereur –, et la ténébreuse Femme désespérée de Ribera pleure les événements d’une histoire chargée où se côtoient la dictature franquiste et l’Inquisition, évoquée par le clair et naturaliste San Salvador de Horta du jeune Murillo. Le Sud apparaît dans la suite des salles visitées. D’abord chez Léon Bonnat, portraitiste académique qui, avant de léguer à la ville sa formidable collection, fit son apprentissage dans l’atelier de Frederico Madrazo. Puis dans les visions de l’Espagne d’Ingres ou de Ziem, qui vont jusqu’aux “espagnolades” d’un Joseph Saint-Germier, avant de s’échouer sur les “territoires d’un imaginaire sensuel ou brutal : Orient qui désoriente”, et la fumerie onirique et orientaliste jusqu’à l’écœurement du Rêve du croyant d’Achille Zo.

Ce parcours est complété par un accrochage cadre contre cadre de près de quatre cents toiles, classées par thèmes – les animaux, les allégories,... – sur des “murs réserves”, comme les baptise Vincent Ducourau. Rompant avec la muséographie du “moins pour montrer plus”, il rhabille le musée en cabinet de collectionneur. Impression renforcée par des pupitres où sont posés des classeurs à moitié vierges, invitant les visiteurs à remplir par leurs propres interprétations les fiches historiques des œuvres. De Rubens à Ingres, de Géricault à Vouet, l’œil parcourt avec un plaisir certain ces murs. Dans le sillage de l’expérience menée pour un temps indéterminé avec Jorge Semprun, une salle d’exposition a été laissée libre pour accueillir un choix d’invités ou de groupes. “L’idée est d’offrir davantage les collections au public. Nous disons : maintenant, faites vos jeux, vos choix”, explique le conservateur enthousiaste. Difficilement acceptable et réalisable dans un musée comme le Louvre, ce parti pris sied parfaitement au lieu et à une collection forcément subjective, puisque œuvre d’un peintre.

L’ATTIRANCE DU SUD. JORGE SEMPRUN, UNE NOUVELLE LECTURE DU MUSÉE BONNAT

Musée Bonnat, 5 rue JacquesLaffitte, 64100 Bayonne, tél. 05 59 59 08 52, tlj sauf mardi et jours fériés, 10h-12h30 et 14h-18h.

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°87 du 27 août 1999, avec le titre suivant : Un regard d’exil

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