Société. Le milieu de l’art est l’objet de nombreuses réflexions légitimes sur le « monde d’après », sans échapper malheureusement lui aussi parfois à des schémas de pensée.
Prenons quelques exemples. Les manifestations type biennales et les foires d’art contemporain seraient condamnées en raison de leur empreinte carbone désastreuse et parce qu’elles donnent au visiteur post-Covid tout sauf envie de se plonger dans une foule. Rappelons que l’on n’a pas encore vu de chiffres sur le bilan écologique de ces manifestations rapporté à – par exemple – la circulation automobile ; et même si Bâle et Venise sont des mauvais élèves, toutes les foires et biennales ne leur ressemblent pas, loin de là. Quant à la crainte de la foule, il suffit d’aller en ce moment dans les supermarchés pour se rendre compte que les clients sont nombreux et continuent à se frôler.
Même raisonnement pour les grandes expositions dont le Covid-19 aurait sonné le glas. La mode serait au « slow art ». C’est oublier qu’un musée a besoin d’entretenir son attractivité avec des événements médiatiques. On peut le regretter, mais c’est ainsi que le grand public se laisse convaincre. Plus débattue est la montée en puissance du virtuel. Certains pensent que le numérique a fait une percée décisive, quand d’autres considèrent que l’expérience de l’art est d’abord « présentielle ».
Beaucoup de commentaires reposent sur un biais qui consiste à projeter dans le futur l’état d’esprit du moment. Et comme l’état d’esprit du moment est particulièrement pessimiste, nombre de prévisions dessinent un avenir radical. Le site The Conversation rappelle fort opportunément la théorie de la « myopie au désastre », développée pour la première fois en 1986 par deux économistes à propos des crises financières. Au fil du temps, les individus ont tendance à sous-estimer la probabilité de chocs peu fréquents. En d’autres termes, plus on va s’éloigner de la crise actuelle, plus on va l’oublier et plus les pratiques anciennes vont revenir.
Cette crise va certainement laisser des traces et le milieu de l’art aura des aspirations plus frugales, si ce n’est dans la pratique, du moins dans le discours. Mais pour l’heure, si l’on ne sort pas très vite de la crise économique, ce n’est pas la frugalité qui nous attend, mais bien une purge sévère qui va laisser du monde sur le carreau.
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La myopie au désastre
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Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°545 du 8 mai 2020, avec le titre suivant : La myopie au désastre