Installé depuis un an et demi dans son studio-laboratoire, l’artiste travaille actuellement à la réalisation des pièces qu’il présentera bientôt à Versailles. Avant-première…
« Ici, c’est un peu à la Filliou », prévient François-Thibaut Pencenat, jeune artiste fraîchement débarqué dans l’atelier Veilhan. Comprendre : une propension manifeste à nouer l’art et la vie. Ici, on réfléchit, on maquette, on régit, on discute, on documente, on prend des cours de yoga – le jeudi –, on fête, on produit, on coordonne, on contrôle, on déjeune collectif et on promeut – ce jour-là, visite des amis du Capc de Bordeaux. « On nous prend parfois pour une secte », rigole Mahaut Vittu de Kerraoul, assistante des débuts, devenue précieuse « base de données » de l’artiste, entre gardienne pragmatique du temple et figure maternelle ramenant la ruche dispersée dans ses bons rayons. « Mahaut, c’est celle qui veille à ce que tout se croise le mieux possible », résume François-Thibaut Pencenat. Et ces derniers temps – Versailles et succès obligent –, ça se croise beaucoup.
« J’ai envie de prendre Versailles à bras-le-corps »
L’équipe – une bonne dizaine de personnes – est dans sa formation des grands jours, tout entière tendue vers la préparation de l’hyperexposition au château, dans les pas encore tièdes de Jeff Koons. Mais là où l’Américain s’était contenté de placer des œuvres préexistantes dans le décor, avec une morne candeur, Veilhan poursuit son entretien lucide avec l’histoire de l’art et tend une réponse sur le mode de son exposition. « En plus de son échelle et de son cadre historico-politique, s’emballe-t-il, Versailles est un paysage artificiel, un assemblage d’événements visuels ; et c’est précisément l’idée que je me fais d’une exposition. » Perspectives convergentes, inflation de symboles culturels, dispositifs d’exposition, manifestations de pouvoir, c’est un peu comme si l’institution tendait à l’artiste ses propres mécaniques d’analyse. Une orgie de signes à instrumentaliser. « La difficulté première, c’est d’éviter la pédagogie et l’illustration. J’ai eu envie de prolonger la radicalité de Versailles et son côté péremptoire en prenant l’endroit à bras-le-corps. Je ne veux pas me mettre en retrait, annonce-t-il. Au contraire, j’aimerais installer des objets que les visiteurs ne puissent pas rater. J’aimerais leur fabriquer de nouveaux souvenirs. »
Grandes maquettes, réductions de sculptures, dizaines de livres ouverts, croquis ou simulations numériques, l’artiste sème un peu partout des amorces du chantier en cours. Tout est potentiellement réactivable. En consommateur boulimique d’images et de modes de production, Veilhan n’écarte rien a priori et pioche en permanence formes, structures, techniques et matériaux. Ce matin-là, il parle ondes, mètre-étalon et fractales. Un peu plus tard, c’est avec Alexis Bertrand, scénographe « à l’extérieur » mais assistant assidu, qu’il examine la structure d’un des fameux dômes géodésiques de Buckminster Fuller.
Un grand et clair espace sous voûte dans le XXe arrondissement
Mais pour l’heure, l’artiste bricole au rez-de-chaussée de l’atelier. Juste en entrant, une immense plate-forme noire, entre table d’opération et podium. Au mur, trois tableaux en cours projetant la transcription du mouvement aléatoire du pendule de Foucault en peinture. Et au centre, l’établi orange mobile, pièce cardinale dans la gestation des lieux signés Élisabeth Lemercier et Philippe Bona, le tandem d’architectes affilié à la petite famille que s’est bâtie l’artiste.
Le bricolage en cours est évidemment versaillais et consiste en l’assemblage improvisé de tasseaux sur lesquels viendra s’installer un architecte pour une séance de pose. En trois coups de vis, l’appui-trépied prend forme – légèrement assis, bras droit accoudé sur un reposoir. C’est ainsi que devra s’adosser le futur modèle. Une fois scanné, numérisé en 3D, maquetté, matérialisé en volume par une équipe de designers, finalisé par un atelier technique et hissé sur un socle, il viendra rejoindre le déjà long cortège de « statues » scannées par Veilhan depuis 2005. Ébène, bois, aluminium, inox, couleurs, échelles et matériaux varient, mais les silhouettes, elles, maintiennent catégoriquement leur qualité monochrome et non-naturaliste ; elles affichent seulement leur belle facture. Un peu comme si Veilhan essorait la statuaire et ses conventions pour ne conserver que la représentation d’un genre et d’une fabrication. Ou l’assemblage doué de l’histoire de l’art et des moyens de production de son temps.
Si la galerie de portraits prend progressivement des allures de panthéon personnel, c’est d’abord le premier cercle que Veilhan carrosse, David, Eva, Jordan, Renaud, Sébastien, Mahaut, lui-même et les autres… C’est l’artiste au travail qui trouve là aussi représentation. À l’étroit dans le petit appartement parisien du passage Baffroi des débuts, voilà un an et demi que le studio Veilhan s’est fait un laboratoire sur mesure dans le XXe arrondissement : un grand et clair espace sous voûte, verticalement ordonné en trois plateaux souples.
Outil de travail, l’atelier aurait « quelques effets secondaires »
Dans l’atelier du rez-de-chaussée, un coin de travail autonome prolongé par la très cruciale cuisine, le tout chapeauté sous coque de béton par un open space lumineux, centre névralgique du studio où s’activent Mahaut et Violeta, la jeune administratrice. De quoi s’ajuster à la mythologie de l’artiste en dirigeant de PME, possible réactualisation de la figure de l’artiste. « Ça reste un fantasme », tempère Alexis Bertrand.
Veilhan, lui, s’amuse de l’intérêt médiatique que suscite l’atelier. « C’est vrai que je m’intéresse à la réalité comme matière première. Mais pour moi, c’est un outil de travail que j’ai mis en place, qui aurait quelques effets secondaires. Avec la fascination accrue que suscite l’art contemporain, les gens s’intéressent à l’atelier comme représentation d’un style de vie, commente-t-il. Cette médiatisation ne porte pas sur les objets qui en sortent, mais sur le rapport entre l’équipe, moi et le lieu. Tout à coup, il devient comme une extension de mon activité. » Et l’atelier – photogénique – ne se prive pas de le mettre en scène.
C’est aussi dans une image que l’on entre. Reste que la dynamique fluide et légère de groupe et le recours aux compétences multiples organisent effectivement la pratique quotidienne de l’artiste, et reste que le nouvel atelier s’est de toute évidence invité dans le processus même de création. « C’est peut-être le rapport au temps qui a un peu changé, relève Alexis Bertrand. Ça s’est accéléré. On a moins de longues discussions, un peu moins cette qualité d’espace flottant, entre plaisir et travail. Ça s’est professionnalisé. »
Mais la petite mécanique énergique reste intacte. Veilhan impulse systématiquement, dessine le plus souvent avant de s’agréger les compétences nécessaires à la matérialisation de son idée. Équipe de designers, développeurs technologiques, scénographe, graphistes ou scientifiques. « Il aime s’entourer de catalyseurs venus de paysages et d’univers différents. Tous les gens qui entrent dans cet atelier sont là pour faire travailler Xavier », sourit Alexis. « Mais, s’il demande souvent des avis extérieurs, c’est justement parce qu’il est capable de ne pas en tenir compte, modère Mahaut. Être en contact avec les autres l’oblige en permanence à préciser et consolider ses propres positions. » Et à entendre François-Thibaut, c’est réciproque. « Paradoxalement, travailler ici génère de l’énergie supplémentaire. On ne devient pas les disques durs externes de l’artiste. Au contraire. Xavier est quelqu’un qui sait responsabiliser les gens, et ça stimule pour développer son propre travail. » Un peu comme les « images figurées » composant le bestiaire de Veilhan, comme ses sculptures génériques assumant leur impeccable beauté dont il évacue les détails pour ne garder que l’image poussée à son iconisation maximum. Au spectateur de se responsabiliser face à cette « immédiateté de plain-pied » pour en débusquer les enjeux analytiques.
Une double entrée qu’il cultive encore à Versailles. « Pas d’écriture, pas de textes, précise-t-il. Les objets monochromes que j’y montre seront à parcourir dans les jardins du château et comme toujours relativement universels. » Comme s’il fabriquait de nouveaux souvenirs-images à ceux que les visiteurs viennent reconnaître à Versailles. Rendez-vous en septembre.
1963
Naissance à Lyon.
1982
École nationale supérieure des arts décoratifs de Paris.
1984
À Berlin, fréquente l’atelier de Baselitz.
1989
Élève de Buren à l’Institut des hautes études en arts plastiques à Paris.
2004
Le Lion est installé place Stalingrad à Bordeaux.
2005
Rétrospective au musée d’Art moderne et contemporain de Strasbourg.
2009
À l’automne, il prendra la relève de Jeff Koons à Versailles.
Xavier Veilhan est représenté par la galerie Emmanuel Perrotin.
L’accès à la totalité de l’article est réservé à nos abonné(e)s
Xavier Veilhan - Palais « royal »
Déjà abonné(e) ?
Se connecterPas encore abonné(e) ?
Avec notre offre sans engagement,
• Accédez à tous les contenus du site
• Soutenez une rédaction indépendante
• Recevez la newsletter quotidienne
Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans L'ŒIL n°613 du 1 mai 2009, avec le titre suivant : Xavier Veilhan - Palais « royal »