En soixante-quinze expositions, le festival a exploré, du 23 novembre au 18 décembre, le thème de la narration, un sujet proposé par un commissaire invité français qui bouscule bien des idées reçues sur la photographie chinoise.
On n’arrive pas à Lianzhou par hasard. Bien qu’entourée de magnifiques montagnes karstiques, la ville la plus pauvre de l’opulente province du Guangdong renvoie à ces innombrables cités chinoises ravagées par l’urbanisation que seuls échoppes, étals, cantines et marchés humanisent. Trois à quatre heures de route (contre huit il y a peu) sont nécessaires pour rejoindre depuis Canton, au sud-est, cette agglomération de 500 000 habitants.
« Raconter une histoire, c’est sortir de la norme »
En finançant pourtant intégralement le festival de photo de Lianzhou, initié en 2005 par Duan Yuting, curatrice et un temps directrice photo de l’une des meilleures revues de photographie en Chine, les autorités politiques de la ville ont doté leur cité d’un événement culturel qui, en sept années, est devenu « le » rendez-vous des professionnels de la photographie de ce pays, rejoints chaque année par une poignée de photographes occidentaux invités autour d’un thème.
Cette année cependant, la personnalité de François Cheval, le commissaire général occidental invité par Duan Yuting à choisir le thème de la manifestation, à proposer sa propre sélection d’auteurs occidentaux et à finaliser, avec elle, la sélection, a donné à cette septième édition un ton et une qualité inégalés jusque-là. Il est vrai qu’en prenant pour ligne éditoriale « Récits et formes de récit » et en mélangeant pour la première fois travaux chinois et occidentaux, le directeur du Musée Nicéphore-Niépce à Chalon-sur-Saône a engagé la programmation sur une voie réflexive et subversive inédite.
Duan Yuting le reconnaît : « La préparation de cette édition a été plus difficile que celle des années précédentes, car le thème choisi est plus profond, plus conceptuel. Si les artistes internationaux sont nombreux à avoir développé des formes de récit, en Chine il est plus compliqué d’en trouver, la plupart des photographes chinois étant conformistes. » Loin « de la photographie documentaire et des versions Nan Goldin développées par une génération de jeunes photographes chinois », dont il ne voulait pas, François Cheval, entouré de deux autres commissaires occidentaux et de quatre autres commissaires chinois, a ainsi mis en avant une photographie d’auteur centrée sur la question de la narration et de ses modes rassemblant des deux côtés des voix singulières célèbres, méconnues ou inconnues.
En regard de travaux d’auteurs occidentaux comme Mac Adams, Jean Le Gac, Joan Fontcuberta ou J. H. Engström et d’une flopée de femmes photographes (Elina Brotherus, Kathryn Cook, Tereza Zelenkova…) – tranchant ainsi avec la sélection chinoise qui comptabilise plus de 80 % d’hommes –, des auteurs chinois déploient leur propre récit et leurs propres formes narratives. Grande retenue et délicatesse ainsi chez Li Yuning, ancien officier de l’armée et révélation de ce festival, récompensé par le prix New Photography Artist (avec Servet Kocyigit) pour son reportage entraînant dans l’intimité de jeunes femmes soldats. Critique fine des mutations de la société chinoise du côté de Ni Weihua, qui photographie à Shanghai des passants devant des panneaux publicitaires vantant résidences ou vacances de luxe, tandis que Feng Li (prix du jury dans la catégorie New Photography avec François Burgun) dérange par des mises en scène absurdes, et que Huang Qingjun enregistre tel un anthropologue les intérieurs des maisons des différents peuples de Chine.
Chez Meng Jin, au contraire, la prise de vue de plafonniers de musées, de salles de concert, d’hôpitaux ou d’habitations tirés sur papier de riz ne retient que leurs structures lumineuses abstraites et métaphysiques, subliminales ellipses bien plus fortes que celles de l’artiste Chen Xiaoyun, récompensée du New Photography Award.
« Raconter une histoire, c’est sortir de la norme », souligne François Cheval. En Chine, l’exercice est délicat. Peu avant l’inauguration, des photographies de Li Yuning et les femmes entièrement voilées de noir d’Olivia Arthur ont été décrochées des murs, alors même que d’autres travaux dont la critique est bien plus forte, tels ceux de Sammy Baloji sur les investisseurs chinois dans le Katanga, n’ont rencontré aucune objection de la censure !
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Lianzhou Photo
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Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans L'ŒIL n°653 du 1 janvier 2013, avec le titre suivant : Lianzhou Photo