L’architecte Shigeru Ban et son équipe ont remodelé et considérablement étendu le centre d’art dijonnais. Pour poursuivre l’expérience menée depuis plus de trente ans, « mais en mieux ».
DIJON - C’est assurément une histoire institutionnelle singulière que celle du Consortium à Dijon, qui n’a pas fini de se poser en contre-modèle exemplaire de centre d’art. Depuis 1977 et une initiative associative de jeunes gens allumés par le contemporain, le projet s’est affirmé avec une ambition et un esprit propre, indépendant, au point qu’on lui a souvent prêté une forme de radicalité là où il y a surtout une idée assez simple : ne se contraindre à rien d’autre qu’à travailler avec des artistes très choisis, à travailler très près d’eux, et avec fidélité dans le temps.
« Expérience politique »
Les fondateurs, Xavier Douroux et Frank Gautherot (Éric Colliard est disparu accidentellement), sont toujours là ; ils n’ont pas lâché grand-chose de leur motivation initiale, voire l’ont décuplée en s’associant au fil des ans des complices. Ils ont ainsi donné du sens au nom de « consortium » trouvé au fronton du magasin qu’ils occupèrent en 1982, et y ont développé plusieurs activités. Le principe de direction collective a aidé à la multiplicité des axes de travail et d’intérêt, tout en contribuant à donner cette image de clan. Aujourd’hui, les deux initiateurs ont été rejoints par Éric Troncy (depuis 1996), Anne Pontégnie, Seung-Duk Kim et Stéphanie Moisdon, responsables souvent de commissariats à l’étranger. Car l’équipe mène bien d’autres formes de projets, sur place ou ailleurs, avec des « départements » qui touchent aux projets de commissariat extra-muros ou d’art public, à l’action culturelle, aux musiques nouvelles, au graphisme, à l’édition avec Les Presses du réel, à la production cinématographique (société Anna Sanders). Ses cohérences intellectuelles et d’attitude font du Consortium une machine diablement efficace, qui revendique l’ouverture sur le monde social et se décrit comme une « expérience politique ».
Au mois de juin, sans en faire grand bruit, l’équipe (composée de neuf permanents, direction comprise) a ouvert au public un espace nouveau par transformation et extension du site industriel que Le Consortium occupait déjà, et situé à un petit quart d’heure du centre-ville. Avec pour objectif de continuer à travailler de la même manière, mais en mieux : sur ses quelque 4700 mètres carrés, le bâtiment offre aujourd’hui, autour d’une cour centrale, outre des espaces de concert (en sous-sol) et de travail (bureaux, ateliers, échoppe, et bientôt un restaurant), des espaces d’exposition totalisant près de 2 400 m2. Sous l’œil exigeant des directeurs, l’architecte Shigeru Ban et son équipe ont livré un espace relevant du white cube très convaincant par les volumes, les parcours, des trouvailles – tel ce mur coulissant qui met une salle de plain-pied avec la cour. L’ensemble offre un mélange de fonctionnalisme et d’équilibre, qui donne l’impression d’être hors du temps. Sans céder à la tentation du geste d’architecte, il s’inscrit sans effraction dans un quartier plutôt résidentiel.
Tester l’accrochage
Le Consortium présente une autre singularité, en termes institutionnels cette fois : si le bâtiment demeure la propriété de l’association porteuse, la collection comptant d’environ trois cents pièces sera prochainement donnée au Musée des beaux-arts de Dijon. Elle restera sous l’autorité scientifique de l’équipe, mais sera ainsi clairement inscrite comme bien public. À rebours donc des usages, qui voient la tutelle publique empressée quand il s’agit de construire, mais bien plus encombrée devant le poids des œuvres. Il est vrai que l’aventure du Consortium est soutenue par les financements publics, en bonne complicité avec la Ville, tout en se dotant de moyens de gestion dignes d’une économie réelle.
Quant au programme d’accrochage proposé pour la mise en route de ce navire, il est emblématique du mode de fonctionnement maison. Il s’agit, à plusieurs mains, d’expérimenter l’espace à peine fini, de tester les possibilités d’accrochage en réunissant, d’une part, au rez-de-chaussée, des pièces d’artistes qui ont souvent partagé l’existence de Consortium : Isa Genzken avec des sculptures-assemblages récentes très attachantes ; Olivier Mosset et de grands formats ; Richard Prince, dont une pièce est conçue pour l’occasion à partir de ses archives personnelles ; Bertrand Lavier et son emblématique pylône coupé par sol et plafond. Au premier étage, sur un argument de Dan Graham qui prend appui sur l’ironie réflexive des artistes, les pièces sont finement choisies : William Wegman avec peintures et dessins, Yayoi Kusama et un labyrinthe fait de miroirs de surveillance, une belle lightbox de Rodney Graham. La peinture y est bien représentée, avec Cécile Bart ou John Wesley, pendant que veille à l’entrée du bâtiment deux des chiens de marbre de la pièce de Julia Scheer qu’accompagne une bande-son : les aboiements ne doivent pas faire peur, entendez plutôt cette hôtesse vous souhaiter la bienvenue au Consortium. Vous pouvez la croire.
EXPOSITION D'OUVERTURE
Commissariat : Le Consortium avec des œuvres de Don Brown, Rachel Feinstein, Isa Genzken, Daan Van Golden, Dan Graham, Rachel Harrison, Yayoi Kusama, Bertrand Lavier, Mark Leckey, Olivier Mosset, Richard Prince, Claude Rutault, Cindy Sherman, Haegue Yang, Jean-Luc Godard, John Armleder, Kelley Walker, Emmanuel Fremiet, François Pompon, On Kawara, Luigi Ontani, Christian Boltanski, Sylvie Auvray, Cécile Bart, Ida Tursic & Wilfried Mille, David Hominal, Yan Pei-Ming.
DEEP COMEDY
Commissariat : Dan Graham et Le Consortium avec des œuvres de Julia Scheer, John Westely, William Wegman, Michael Smith, Rodney Graham, Arman, Angela Bulloch, Katharina Fritsch, Alex Hubbard, Pierre Joseph, Klara Liden, Kalup Linzy, François Morellet, Steven Parrino, Niele Toroni, Heimo Zobernig.
Jusqu’au 10 novembre.
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Le Consortium ouvert en grand
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Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°351 du 8 juillet 2011, avec le titre suivant : Le Consortium ouvert en grand