Un mémorial de l’internement et de la déportation vient d’ouvrir ses portes à Royallieu.
COMPIÈGNE - Un mur de béton clair, enchâssant deux monuments aux morts plus anciens, s’étire le long de l’avenue des Martyrs de la Liberté. Quelques ouvertures ménagent des vues sur les trois baraquements rescapés de l’ancien camp de rétention de Royallieu. Là, dans le « Frontstalag 122 », situé à 3 km de la gare de Compiègne (Oise), plus de 40 000 personnes ont été internées par les Allemands entre 1941 et 1944. L’ancienne caserne militaire, construite en 1913, était devenue l’un des 200 camps destinés à l’emprisonnement des résistants et Juifs. Plusieurs convois en sont partis vers les camps de la mort, dont celui dit des « tatoués » du 27 avril 1944 qui emmena par erreur à Auschwitz-Birkenau 1 700 résistants – le camp n’était destiné qu’aux Juifs –, dont le poète Robert Desnos, mort d’épuisement en 1945 lors de la libération du camp de Terezin où il avait été transféré.
Royallieu a été l’un de ces camps, où les prisonniers n’étaient qu’en transit. Dès la fin de la guerre, l’armée française s’est réinstallée dans les lieux qu’elle n’a quittés qu’en 1997. Les vingt hectares ont été cédés à la ville avant d’être rasés pour faire place à une opération d’urbanisme en cours. Seuls trois bâtiments ont été sauvés : ils abritent désormais le Mémorial de l’internement et de la déportation. Restait à écrire l’Histoire à partir de ce lieu, en gardant en tête la formule de l’historien Pierre Nora : « La mémoire divise, l’Histoire rassemble ». Côté architecture et scénographie, un concours a désigné en 2005 Jean-Jacques Raynaud qui avait déjà participé à la conception de la scénographie de l’Historial de la Grande Guerre à Péronne (Somme). Contraint par un budget de 4 millions d’euros pour un site de 2 hectares, celui-ci a opté pour la modestie. Hormis la sobre façade, qui permet une mise à distance avec la ville et héberge les espaces d’accueil, son intervention est discrète. L’architecte a, en effet, privilégié une démarche remettant à nu les murs et les sols de la caserne, en enlevant plutôt qu’en ajoutant, tout en conservant les différentes stratifications, graffitis ou fresques d’époques. Une attitude similaire a été adoptée pour la mise en valeur d’un tunnel d’évasion, découvert de manière fortuite, et protégé par une cabane en bardage de métal.
Sur cette enveloppe est venu se greffer le discours historique, conçu par Christian Delage, enseignant-chercheur à l’Université Paris 8 et à l’École des hautes études en sciences sociales (EHESS). Toutes les archives du camp ayant été détruites en 1944 par les Allemands, celui-ci a œuvré à partir du matériau collecté par la Fondation pour la Mémoire de la Déportation et la Mairie de Compiègne. Le parcours débute par une mise en perspective des armistices de 1918 et de 1940, qui ont eu tous deux pour cadre le wagon de la clairière de Rethondes, dans la forêt de Compiègne, ramené ensuite à Berlin par Hitler, comme symbole de la revanche. Sobre et pédagogique, évitant le registre de l’empathie même si l’émotion est inévitable, le propos vise à « sensibiliser de manière distanciée ». Les documents parlent souvent d’eux-mêmes, tel ce reportage d’un photographe allemand réalisé lors d’une rafle sur le Vieux port de Marseille, en 1943, où encore cette salle où sont réunis quelques dessins d’anciens internés. Quand ceux des Américains sont réalisés d’un trait relativement apaisé, ceux du Juif ukrainien Gotko sont exécutés d’une mine plus acérée et emprunts d’une profonde noirceur. Seule la dernière salle a fait l’objet d’une intervention architecturale prononcée. Un mur de refend y a été découpé à la scie pour former sept piliers, comme les sept camps d’extermination évoqués, au recto, par des images terribles filmées par les Américains lors de leur découverte, au verso, par des récits de déportés. Ainsi de cet extraordinaire témoignage d’Edmond Michelet – résistant qui deviendra ministre – racontant aux soldats américains avec énergie et dans un anglais parfait les conditions de détention à Dachau.
Si la multiplication de ces lieux de mémoire risque d’être posée d’ici peu – l’ancien camp de Rivesaltes (Pyrénées-Orientales) accueillera en 2010, sur plus de quarante hectares, un projet de Mémorial de l’internement piloté par l’architecte Rudy Ricciotti –, l’équipe de maîtrise d’œuvre de Royallieu a su éviter de nombreux écueils, privilégiant le travail sur la mémoire au devoir de mémoire.
Mémorial de l’internement et de la déportation, Camp de Royallieu, 2 bis, avenue des Martyrs de la Liberté, 60200 Compiègne, tél. 03 44 96 37 00, http://memorial.compiegne.fr, tlj sf mardi, 10h-18h.
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L’Histoire au service de la mémoire
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- Partenaires : Ministère de la Défense, Conseil régional de Picardie, Conseil général de l’Oise, Fondation du Patrimoine, Caisse des dépôts et consignations, Fondation pour la Mémoire de la Déportation
- Parcours historique : Christian Delage, historien et réalisateur
- Architecture et scénographie : Jean-Jacques Raynaud
- Conception et réalisation de la scénographie audiovisuelle : Malice Images
Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°278 du 28 mars 2008, avec le titre suivant : L’Histoire au service de la mémoire