Sculpteur, peintre, dessinateur et même dramaturge, Bernin a également laissé un œuvre architectural exceptionnel, contribuant plus qu’aucun autre à façonner le visage de la Rome baroque. Synthétisant les recherches menées depuis vingt ans, T. A. Marder a étudié cette partie fondamentale de son activité, sans chercher à l’isoler artificiellement, car souvent son architecture ne prend toute sa valeur que dans sa relation avec la sculpture.
Les historiens de l’art ont-ils renoncé à embrasser tout l’œuvre de Bernin dans un seul ouvrage ? Dans sa monographie parue il y a deux ans (lire le JdA n° 60, 9 mai 1998), Charles Avery s’était concentré sur la sculpture. Le livre de T. A. Marder est, quant à lui, explicitement intitulé en version originale Bernini and the Art of Architecture. La traduction française en Bernin, sculpteur et architecte peut toujours être discutée, elle n’en montre pas moins la difficulté à séparer ces deux arts qu’il s’est ingénié à synthétiser en un bel composto. À propos de la chapelle Raimondi, à San Pietro in Montorio, l’auteur souligne “cet aspect théâtral que Bernin excellait à donner à l’architecture afin de mettre en valeur un programme sculpté”. La lumière joue en effet un rôle essentiel dans les dispositifs imaginés par le Cavalier à la chapelle Cornaro par exemple.
T. A. Marder reconnaît que “sans les commandes Chigi, l’œuvre architectural de Bernin ne justifierait pas d’une étude séparée de son œuvre sculpté”. Alexandre VII, le pape issu de cette famille, ne fut-il pas ironiquement surnommé par ses détracteurs il papa di grande edificazione ? Il trouve en l’auteur du Baldaquin l’interprète idéal de ses rêves de grandeur, dont la réalisation correspond paradoxalement au déclin de l’influence pontificale dans la politique européenne et à une diminution de la population romaine. Pourtant, la réputation de Bernin architecte restait entachée par l’échec humiliant des campaniles de la basilique Saint-Pierre. Après la démolition du troisième étage de la tour Sud par Urbain VIII, qui lui adressa de sévères remontrances “pour n’avoir daigné prendre l’avis de quiconque”, son successeur, Innocent X, ordonna, en 1646, la destruction des campaniles, jugés responsables des fissures apparues dans la base de Maderno.
La création de la place Saint-Pierre avec sa puissante colonnade lui offrit une éclatante revanche. Au cours du pontificat d’Alexandre VII, lui fut par ailleurs confiée la construction de Saint-André-du-Quirinal à Rome, de l’église de l’Assomption à Ariccia, de Saint-Thomas-de-Villeneuve à Castel Gandolfo et enfin de la Scala Regia au Vatican. À chacun de ces projets essentiels, l’auteur consacre un chapitre particulier, très documenté, nourri des nombreux plans et dessins préparatoires ; il détaille comment l’artiste a répondu aux exigences du commanditaire, s’est adapté aux contraintes topographiques et a évolué au cours de leur réalisation. Évidemment, T. A. Marder n’oublie pas les projets pour le Louvre, une mission plus politique qu’artistique, dont l’échec était pour le moins prévisible : Louis XIV pouvait-il en effet confier à un Italien la construction de sa demeure ? Car, Bernin lui-même l’affirmait, les bâtiments sont “le portrait de l’âme des rois”… et des papes.
- T. A. Marder, Bernin, sculpteur et architecte, photographies de Joseph Martin, Abbeville Press, 344 p., 280 ill. coul., 20 ill. n&b, 595 F jusqu’au 1er juillet 2000, 750 F après. ISBN 2-87946-186-3.
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L’homme-orchestre
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Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°105 du 12 mai 2000, avec le titre suivant : L’homme-orchestre