Trop de publicité tue la publicité, mais surtout défigure les villes. Aussi, l’engagement pris par la Mairie de Paris de revoir toutes les concessions d’affichage laisse augurer un salutaire nettoyage de l’espace. Ce combat contre la pollution visuelle rejoint les préoccupations patrimoniales.
PARIS - “Personnellement, j’ai une passion pour les paysages, et je n’en ai jamais vu un seul amélioré par un panneau d’affichage. C’est lorsqu’il érige une affiche devant d’agréables perspectives que l’homme est à son plus vil.” Citée par Naomi Klein dans son ouvrage No Logo1, cette phrase n’est ni d’un écologiste, ni d’un défenseur du patrimoine, mais de David Ogilvy, fondateur de l’une des plus grosses agences de publicité américaines. Signe que l’inflation publicitaire indispose même ses zélateurs. Les avant-gardes du début du XXe siècle avaient fait des affiches publicitaires un emblème de la ville moderne ; elles le sont devenues à un tel point que l’overdose guette. Dans ce contexte, une récente initiative parisienne fait naître de légitimes espoirs. Le 18 décembre, le Conseil de Paris, à son tour, a adopté à l’unanimité le vœu que le règlement local d’occupation publicitaire soit révisé dans le respect de l’intégrité du cadre de vie des Parisiens. Et l’équipe municipale s’est engagée à revoir toutes les concessions d’affichage. L’initiative était venue du XIe arrondissement où Jean-Christophe Mikhaïloff, élu du Parti radical de gauche, avait soumis cette proposition à son conseil municipal. Celle-ci a ensuite été reprise par les radicaux de gauche dans les IXe et XIIe arrondissements.
Dans la capitale comme dans toutes les villes de grande ou moyenne importance, les panneaux publicitaires occupent une part toujours plus grande de l’espace public. Non contents de défigurer les entrées des villes, ils investissent jusqu’aux centres historiques des cités. Alors que souvent les municipalités investissent des sommes importantes dans la restauration de leurs monuments, elles laissent défigurer leurs abords immédiats, ruinant un effort méritoire pour améliorer le cadre de vie.
Pourtant, la loi du 28 décembre 1979 réglemente l’affichage publicitaire aux abords des monuments historiques, des espaces verts, des écoles et des routes. Malheureusement, sous l’influence des lobbies, un système dérogatoire a largement vidé ce texte de sa substance, puisque les municipalités peuvent l’adapter à leur guise à travers un règlement local de l’occupation publicitaire. Il existe dans ce domaine un problème à la fois “légal, éthique et esthétique”, considère Jean-Christophe Mikhaïloff. Légal parce que l’esprit de la loi est bafoué ; éthique car la publicité, véritable pollution visuelle, agresse l’individu ; esthétique enfin, car le cadre urbain s’en trouve dévalorisé. Ce que réclame l’élu, c’est que les habitants soient consultés comme ils le seront sur les permis de construire. Toute implantation de nouveau panneau pourrait être soumise à l’avis des riverains, et celui-ci serait transmis par l’intermédiaire des conseils de quartier. Il s’agit d’instaurer une sorte de droit de regard ou plutôt de légitimer un droit du regard (à ne pas être heurté par la vulgarité publicitaire). Cette bataille pour la préservation de l’environnement urbain, mais aussi contre la “marchandisation” du monde, rejoint naturellement les préoccupations patrimoniales. Et l’écho rencontré par l’initiative parisienne montre que la défense d’un cadre de vie harmonieux, et indirectement d’un patrimoine commun, reste pertinente, et ne constitue en aucun cas un combat d’arrière-garde.
S’il est une installation qui défigure l’environnement urbain, c’est bien la grande roue installée sur la place de la Concorde depuis 1999. Au cœur d’un des sites les mieux protégés de France, au titre des monuments historiques, des abords mais aussi du patrimoine mondial de l’humanité, cette installation, qui aurait dû être démontée au tout début 2001, trône crânement, en toute illégalité. En effet, aucun permis de construire n’a été délivré, aucune autorisation de l’architecte des Bâtiments de France n’a été sollicitée. Aussi, des associations, dont la SPPEF, s’apprêtaient à intenter un recours en justice pour mettre fin à ce déni patrimonial. Peut-être cette action ne sera-t-elle pas nécessaire, puisque la mairie semble enfin décidée à agir ? D’autant plus qu’elle avait découvert, ainsi que le révélait Le Canard enchaîné, dans son édition du 21 novembre 2001, que l’ancienne municipalité achetait chaque année pour 650 000 francs de billets d’entrée pour la grande roue afin de les distribuer aux Parisiens. Curieusement, cette somme correspondait à peu près au montant du loyer que le propriétaire du manège devait verser à la Ville.
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Paris pour une écologie visuelle
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Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°140 du 11 janvier 2002, avec le titre suivant : Paris pour une écologie visuelle