La galerie Jeanne-Bucher a été créée en 1925 à Paris. Jean-François Jaeger en a pris la direction en 1947. Ses enfants Frédéric et Véronique, qui l’ont rejoint en 2003 et 2004, répondent à nos questions.
Vous inaugurez au printemps 2008 un nouvel espace situé dans le Marais, rue de Saintonge, tout en gardant la galerie de la rue de Seine. Pourquoi cette extension ?
Nous avons décidé de nous ouvrir aux artistes contemporains et le quartier pour les défendre, c’est le Marais. Nous avons trouvé un espace qui rejoint l’esprit « atelier » de la rue de Seine. Il s’agit en fait de deux locaux en vis-à-vis d’une surface de 350 m2 et 160 m2. Ce lieu nous permettra de laisser s’exprimer des artistes dont le message est plus novateur, voire de les mettre en regard d’artistes plus historiques.
Le changement de quartier correspond-il à un changement d’image ?
Oui, une galerie qui a 82 ans est capable de se remettre en question, de se réadapter au marché actuel et de poursuivre son aventure première. Si nous avions ouvert dans le 6e arrondissement, nous serions restés dans notre bulle. En déménageant, nous indiquons clairement à nos confrères que nous sommes parmi eux, prêts à prendre les mêmes risques, tout en préservant notre adresse historique.
Il s’agit quand même d’un pari, car à ce jour peu de galeries ont réussi cette transition.
Notre repositionnement permet de mettre en lumière tout le passé de la galerie. Jeanne Bucher a montré, entre 1925 et 1946, un nombre impressionnant d’artistes d’avant-garde, ainsi, entre autres, Ernst, Giacometti, Kandinsky, Klee, Léger, Miró, Staël, Vieira da Silva. Notre père a poursuivi l’aventure picturale en 1947 avec les grands artistes de l’époque : Bissière, Staël, Vieira da Silva, Nevelson, Tobey, Jorn, Dubuffet, Rebeyrolle, et a organisé quelques expositions marquantes d’arts premiers. Perpétuer le nom de Jeanne Bucher, c’est prolonger l’esprit de découverte qui la caractérise depuis le début en maintenant notre engagement aux côtés d’artistes vivants. Notre tandem nous permet de consolider notre patrimoine, de développer l’avenir et de nous repositionner au sein du marché international de l’art.
N’est-il pas difficile pour une galerie de votre âge d’attirer les artistes contemporains ?
Les bons artistes ont toujours puisé chez leurs aînés, que ce soit en s’inspirant de leur travail ou en le dénigrant. Ce dialogue est essentiel. À notre époque, tout va très vite et nos valeurs sont ébranlées par les spéculations économiques. La galerie Jeanne-Bucher a toujours privilégié l’œuvre de l’artiste par rapport aux rendements économiques immédiats. Ses choix artistiques se sont révélés justes ou non, c’est le risque d’une galerie. Il est primordial de soutenir nos artistes sur le marché, mais nous ne souhaitons pas que celui-ci dicte nos choix artistiques. 90 % des œuvres de notre fonds ont été achetées directement auprès des artistes et ce stock est loin d’être déshonorant ! Les artistes qui nous rejoignent savent que nous les soutiendrons dans le temps et nos collectionneurs nous font confiance.
Allez-vous prendre plutôt des artistes en milieu de carrière ?
Nous présenterons d’abord des artistes internationaux dont l’œuvre est mûre avant d’exposer des créateurs plus jeunes. Les locomotives que nous cherchons ne se trouvent pas forcément sur la crête du marché. Ce sont plutôt des créateurs pour lesquels il y a encore un travail à faire. Nous cherchons des artistes qui nous posent des questions et nous font réfléchir.
Vous organisez rue de Seine jusqu’au 24 novembre l’exposition « Le corps et son double », un pendant à « Tête-à-tête », présentée l’an dernier sur la Foire internationale d’art contemporain (FIAC). Pourquoi ne pas l’avoir fait sur la foire, au Grand Palais ?
Nous avions initialement prévu l’exposition personnelle d’un artiste vivant. Les organisateurs ont souhaité que nous contribuions au secteur moderne de la FIAC en sortant des raretés historiques de notre fonds, comme l’an passé. L’exposition « Le corps et son double » est donc née, avec un magnifique Staël, un Dubuffet de 1943, plusieurs Laurens, des œuvres rares d’arts premiers. L’emplacement prévu par les commissaires de la FIAC pour cette exposition prestigieuse, sous mezzanine, sans lumière, dans un stand trop petit, n’était pas digne des œuvres. L’exposition est mieux présentée à la galerie et ce « non-lieu » conviendra davantage aux « Non-lieux » de Dubuffet. Avec « Le corps et son double », nous aurions pu montrer la richesse des grandes enseignes françaises. Mais les organisateurs semblent courir après les effets de mode du marché !
Galerie Jeanne-Bucher, 53, rue de Seine, 75006 Paris, tél. 01 44 41 69 65.
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Véronique et Frédéric Jaeger, codirecteurs de la galerie Jeanne-Bucher, Paris
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Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°267 du 19 octobre 2007, avec le titre suivant : Véronique et Frédéric Jaeger, codirecteurs de la galerie Jeanne-Bucher, Paris