Art contemporain

Monographie

Les utopies de Nicolas Schöffer

Par Olivier Michelon · Le Journal des Arts

Le 8 juillet 2004 - 746 mots

À La Seyne-sur-Mer et à Aix-en-Provence, une double exposition réunit sculptures et projets de Nicolas Schöffer. Ce héros des années Pompidou revient avec une œuvre qui hante la création contemporaine.

LA SEYNE-SUR-MER, AIX-EN-PROVENCE - Retour vers le futur ? Alors que la Mairie de Paris bute sur les projets pour la rénovation du Forum des Halles, le plan proposé en 1975 par Nicolas Schöffer (1912-1992) pour réaménager le trou des Halles ressort à l’occasion de la double exposition que lui consacrent le centre d’art de la Villa Tamaris Pacha à La Seyne-sur-Mer (Var) et la Fondation Vasarely d’Aix-en-Provence (Bouches-du-Rhône). Amphithéâtre, boutiques, bureaux et patinoire, le Relief négatif des Halles suggéré par l’artiste serait finalement sage s’il n’intégrait pas un Centre de réflexion prismatique monumental. Malgré sa taille réduite, le Prisme (1965) présenté à la Fondation Vasarely donne un aperçu de l’explosion sensorielle qui aurait été contenue au cœur de la capitale : composée de miroirs et de caissons lumineux animés, la structure s’apparente à une version futuriste et psychédélique des rosaces de cathédrale gothique. Fidèle aux principes du Chromodynamisme – alliance du mouvement, de l’espace, de la lumière et du temps théorisée par Schöffer en 1959 –, la construction et son intégration (même théorique) dans un cadre urbain est significative des débordements de l’œuvre.
Acteur central de l’art cinétique des années 1950 et 1960, Nicolas Schöffer travaille sur l’interactivité et la stimulation de l’optique pour produire des effets d’illusion et d’émerveillement – comme le montrent les pièces regroupées à la Fondation Vasarely –, mais dépasse largement ce registre en s’inscrivant dans un programme plus vaste. Investi d’une œuvre qu’il considère comme vitale et totale, l’artiste n’a eu de cesse de multiplier les collaborations (Pierre Henry, Maurice Béjart, Carolyn Carlson…) et les domaines d’action (la télévision avec, en 1961, les expérimentations vidéo de Variations luminodynamiques). Pour lui, la sculpture n’est qu’une matrice. « Le sculpteur sera architecte et urbaniste : la cité étant une prolongation de la sculpture qui remplacera la cathédrale sur la place publique », déclarait-il lors d’une conférence à la Sorbonne en 1954.
Au sommet de cette ambition, la Ville cybernétique articule lieux de travail, de loisir et de repos dans un urbanisme planifié, mais dont la fantaisie exulte dans le très « houellebecquien » Centre de loisirs sexuels en forme de sein.
Chronos 8 ou Spatiodynamiques, les sculptures exposées à la Seyne-sur-Mer, bénéficient justement de leur voisinage avec les études architecturales. Indissociable d’un projet de société axé sur le progrès et la croissance, l’urbanisme radical de Schöffer fait table rase. Dans les années 1950, il croise les chemins de Claude Parent (avec qui il signe  en 1953 les Unités d’habitation sur pilotis) et de Constant, cofondateur du groupe NEOVISION. Dans ses principes d’ambiance et de mobilité, la Ville cybernétique est d’ailleurs la sœur jumelle de la New Babylon de Constant. Mais là où le nom de ce dernier est attaché à Debord et à l’Internationale Situationniste, celui de Schöffer est ancré dans la France industrielle des trente glorieuses et la modernité pompidolienne dont il fut l’un des champions. Une différence qui explique en partie le purgatoire que connaît encore son œuvre. « Si l’art de Nicolas Schöffer n’a […] pas résisté à l’effondrement des valeurs de son temps, c’est que justement il représentait les idéaux d’une société tout entière. Le magazine Paris-Match pensait toujours en 1965 que la ville de demain serait celle de Nicolas Schöffer. S’il y a “échec”, c’est donc celui d’une époque et de ses mythes perdus. Ces derniers se sont effondrés après 1968, et surtout après le premier choc pétrolier de 1973 qui a fait valser les utopies les plus diverses en quelques mois », note dans le catalogue Éric Mangion, commissaire de l’exposition.

Échos contemporains
Défendue par Pompidou, la Tour Lumière Cybernétique (T.L.C.) de Paris-la Défense ne vibrera jamais à l’unisson avec les flux de la mégalopole. Reste que, par sa dimension prospective et sa
culture du projet, la pensée et l’œuvre de Schöffer ne manquent pas d’échos aujourd’hui dans la création contemporaine – que l’on songe, à des degrés divers, à Olafur Eliason, Carsten Höller, Berdaguer & Péjus ou encore Dominique Gonzalez-Foerster.

NICOLAS SCHÖFFER

Jusqu’au 19 septembre, Villa Tamaris Pacha, avenue de la Grande-Maison, 83500 La Seyne-sur-mer, tlj sauf lundi 14h-18h30, tél. 04 94 06 84 00 ; Fondation Vasarely, 1, avenue Marcel-Pagnol, 13090 Aix-en-Provence, tél. 04 42 20 01 09, tlj sauf dimanche 11h-19h. Catalogue, éditions Les Presses du réel, 288 p., 42 euros, ISBN 2-84066-131-4.

Nicolas Schöffer en dates

1948 Abandonne la peinture et découvre la cybernétique théorisée par Norbert Wiener. 1955 Construction de la première tour spatiodynamique, parc de Saint-Cloud, avec la collaboration de Pierre Henry. 1956 Maurice Béjart danse avec CYSP 1, première sculpture cybernétique autonome de l’histoire de l’art. 1957 Présentation de la Maison à cloisons invisibles au Salon du bâtiment et des travaux publics en collaboration avec Philips et Saint-Gobain. 1965 Cofondation du Groupe international d’architecture prospective (GIAP) avec Yona Friedman, Walter Jonas, Paul Maymont, Georges Patrix et Michel Ragon. 1968 Grand Prix de la Biennale de Venise. 1971 Concours du Centre Pompidou. 1983 Participation aux concours de la Défense et de l’Opéra Bastille.

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Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°197 du 8 juillet 2004, avec le titre suivant : Les utopies de Nicolas Schöffer

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