Copieuse est la manifestation consacrée par le Musée des arts décoratifs à l’« esprit Bauhaus », depuis le Moyen Âge jusqu’à aujourd’hui. Sans que le rapport avec cette école d’avant-garde soit toujours démontré.
PARIS - En matière d’avant-garde, l’école du Bauhaus fut l’une des plus fameuses et des plus influentes du XXe siècle. Cette exposition concoctée par le Musée des arts décoratifs, à Paris, et intitulée « L’esprit du Bauhaus » dresse un vaste panorama de cette institution artistique fondée en 1919 à Weimar (Allemagne) par l’architecte Walter Gropius et dissoute à Berlin, en 1933, face à la montée du nazisme. Le parcours est on ne peut plus didactique. Au début, le contexte historique. À la fin, un volet contemporain. Dans l’intervalle, le Bauhaus est consciencieusement décortiqué à travers ses divers enseignements et/ou ateliers : céramique, menuiserie, métal, textile, peinture sur verre, sculpture, peinture murale, imprimerie/typographie/publicité, théâtre, architecture, enfin, photographie.
La présentation, énorme – même si des pièces phares manquent à l’appel, comme le Fauteuil africain de Marcel Breuer –, ne rassemble pas moins de 900 œuvres (dessin, maquette, peinture, sculpture, objet, textile, mobilier…), dont certaines sont exposées pour la première fois, tels les textiles de Gunta Stölzl. Les fans devraient y trouver leur bonheur. Le grand public, en revanche, risque d’abandonner en cours de route tant le parcours s’étire en longueur. Ainsi le visiteur doit-il d’abord en passer par le Moyen Âge. Certes, Gropius s’inspira de modèles médiévaux pour fonder son enseignement, le Moyen Âge restant pour lui cette période bénie durant laquelle artistes et artisans œuvraient de concert pour l’édification d’une cause commune, en particulier les cathédrales. Mais de là à juxtaposer un plat en étain (France, XVIe siècle) à une coupe en laiton argenté de Marianne Brandt datant de 1926 pour signifier quelque influence formelle…
Une somme à assimiler
Ce même visiteur devra ensuite assimiler les travaux de divers mouvements en vigueur à la fin du XIXe siècle et au début du XXe siècle, tels les Arts and Crafts (Royaume-Uni) de William Morris, les Wiener Werkstätte (Autriche) de Josef Hoffmann et Koloman Moser ou le Deutscher Werkbund (Allemagne) de Peter Behrens et Henry Van de Velde. S’ils constituèrent certes des moments où l’association entre artistes et artisans fut relativement équilibrée, ces mouvements relèvent néanmoins chacun d’une histoire plus complexe.
Enfin le visiteur pourra entrer dans le vif du sujet.
Au Bauhaus, l’expérimentation est portée au pinacle, et ce quel que soit le domaine. En témoignent, au rayon « Photo-graphie », les stéréotypes et autres photogrammes en noir et blanc signés Laszlo Moholy-Nagy ou, côté « Théâtre », ces trois reproductions de figurines bariolées du Ballet triadique créé par Oskar Schlemmer, superviseur dudit atelier. En regard d’œuvres conçues par une myriade de maîtres – Paul Klee (théorie artistique), Theodor Bogler (céramique), Vassily Kandinsky (peinture murale)… – sont montrés, et c’est une bonne surprise, d’humbles travaux d’élèves qui disent tout de l’aura de leurs enseignants.
Comme l’évoque la présentation, l’école prendra progressivement conscience de l’importance de la communication. Un film amusant montre une femme de ménage en train de déployer toute la modernité de la cuisine fonctionnelle de cette Neues Haus (« nouvelle maison »). Le Bauhaus éditera également des livres, dont certains sont ici exposés, et même un Katalog der Muster (« Catalogue de modèles »), destiné à promouvoir les prototypes les plus achevés en vue de leur production et de leur commercialisation. Non loin, deux toiles esseulées, des Hommage au carré de Josef Albers datant des années 1950, semblent participer à la promotion du mécène de l’exposition, la Fondation d’entreprise Hermès, dont la maison mère reproduisit ces tableaux pour une collection de foulards.
Dans une ultime section élaborée par l’artiste Mathieu Mercier et baptisée « Une suite possible », sont réunies les œuvres d’une quarantaine de créateurs actuels, censées « témoigner de la permanence et de la vivacité de l’esprit du Bauhaus ». Certains choix, notamment chez les designers, laissent dubitatif. Pierre Charpin a-t-il imaginé ses pièces en verre coloré « Torno Subito » dans la lignée des études de nuances du Bauhaus ? Pour réaliser son mobilier, le duo Muller-Van Severen use-t-il du métal dans le même but que le fit, jadis, Marcel Breuer avec le tube chromé ? Le fait que Jerszy Seymour soit assurément un « expérimentateur » en mobilier le rapproche-t-il fatalement de la philosophie du Bauhaus ? Rien n’est moins sûr.
Commissariat général : Olivier Gabet, directeur des musées des Arts décoratifs, Anne Monier, conservatrice au département des jouets
Scénographie : Laurence Fontaine
Nombre de pièces : plus de 900
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Un Bauhaus à l’esprit (un peu) trop large
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Abonnez-vous dès 1 €Jusqu’au 26 février 2017, Musée des arts décoratifs, 107, rue de Rivoli, 75001 Paris, tél. 01 44 55 57 50, tlj sauf lundi 11h-18h, jeudi jusqu’à 21h, www.lesartsdecoratifs.fr, entrée 11 €. Catalogue, 288 p., 39 €.
Légende Photo :
Marianne Brandt, L'Atelier se reflétant dans la boule (autoportrait dans l'atelier Bauhaus à Dessau), photographie, 1928-1929 © Bauhaus-Archiv Berlin/A.D.A.G.P.2016
Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°467 du 11 novembre 2016, avec le titre suivant : Un Bauhaus à l’esprit (un peu) trop large