Musée - Nomination

Portrait

Sylvie Ramond, directrice du Musée des beaux-arts de Lyon

Résolument investie dans son rôle de conservatrice en chef du patrimoine, la commissaire de la récente exposition consacrée à Joseph Cornell a su donner un souffle international au Musée des beaux-arts de Lyon

Par Christine Coste · Le Journal des Arts

Le 26 février 2014 - 1638 mots

LYON

Directrice du Musée des beaux-arts de Lyon, Sylvie Ramond s'efforce de donner une envergure internationale à l'institution.

« On ne peut résumer la vie de quelqu’un à quatre mois de campagne. » Sylvie Ramond énonce à nouveau cette phrase, comme un rappel, lorsque le sujet « Musée du Louvre » pointe dans la conversation. La voix est claire, l’insistance tempérée, la précaution de rigueur. La directrice du Musée des beaux-arts de Lyon préfère évoquer ses dix années tout juste passées à la tête du deuxième musée de France ou de Matthias Grünewald auquel elle et son mari, François-René Martin, ont consacré une monographie de référence chez Hazan, plutôt que de revenir à cette même période de l’an dernier, où elle était pressentie devant Jean-Luc Martinez pour succéder à Henri Loyrette au poste de président-directeur général du Louvre. Certes la décision de l’Élysée de remettre en course la candidature de Laurent Le Bon, directeur du Centre Pompidou-Metz, avait laissé supposer qu’à la présidence de la République le choix était encore loin d’être fait, bien qu’Aurélie Filippetti ait réaffirmé à François Hollande sa préférence pour Sylvie Ramond lorsqu’elle lui présenta le profil des deux candidats qu’elle avait retenus.

La déclaration maladroite, quelque temps auparavant, de la ministre de la Culture de son souhait de voir une femme accéder à ce poste a-t-elle véritablement joué en sa défaveur lors du choix du président de la République ? On le dit. Rien pourtant n’est moins sûr. Patrice Béghain, ancien adjoint au maire de la Ville de Lyon, délégué à la Culture et au Patrimoine de 2001 à 2008, se souvient de sa discussion avec Sylvie Ramond lorsqu’elle est venue lui demander conseil après que le ministère de la Culture lui eut proposé de se porter candidate pour le Louvre. « C’est une belle proposition que vous ne pouvez évidemment pas refuser », lui avait-il dit, « mais je vous mets en garde. Premièrement vous êtes conservateur territorial ; or le Louvre ne travaille qu’avec des conservateurs d’État. Deuxièmement vous êtes une femme, et le Louvre est un univers très masculin pour ne pas dire un autre mot. Troisièmement, vous êtes une spécialiste d’art moderne et bien que vous ayez dirigé un musée d’art médiéval et un musée couvrant toute l’histoire de l’art depuis l’Antiquité, certains ne retiendront que votre spécialité. Enfin, si vous dirigez le deuxième musée des beaux-arts en France, il n’en reste pas moins que, du point de vue parisien, vous œuvrez pour un musée de province, certes important et florissant, mais de là à présider au plus grand musée du monde… ».
Rétrospectivement l’ancien adjoint de Gérard Collomb qui recruta Sylvie Ramond, il y a dix ans, à la direction du Musée des beaux-arts confie sa surprise devant les commentaires qu’elle suscita lorsqu’on l’annonçait gagnante : « je l’avais certes prévenue, mais je ne pensais pas que les tirs de barrage de certains de ses collègues et de certains journalistes seraient aussi violents et bas. » Elle ne l’imaginait pas davantage et en fut profondément blessée. Elle ne le dit pas, évoque simplement « l’expérience intellectuellement exceptionnelle que ce fut de travailler sur un tel projet ». Néanmoins, ceux et celles qui la connaissent de près comme de loin rapportent invariablement la femme blessée qu’elle fut pendant un certain temps.

Le départ dans la foulée pour le Smithsonian American Art Museum à Washington, grâce à une bourse de la Terra Foundation, fut à cet égard salvateur. Pendant un mois, entre les murs gardiens des archives de Joseph Cornell, elle s’immergea dans l’univers singulier et poétique de cet artiste américain. Elle était alors à huit mois de l’ouverture de l’exposition « Joseph Cornell et les surréalistes à New York », qu’elle préparait depuis six ans : un pari courageux, tant au niveau des prêts difficiles à obtenir – en raison de l’extrême fragilité des pièces des boîtes en particulier – qu’au niveau de sa réception auprès du public et de l’énorme budget engagé pour sa réalisation. Depuis la rétrospective du Museum of Modern Art de New York présentée au Musée d’art moderne de la Ville de Paris en 1981, aucune autre exposition dans un musée français n’avait été consacrée à cette figure  de l’art américain.

Un détonateur nommé Joseph Cornell
Les expositions racontent beaucoup de leur(s) auteur (s). « Joseph Cornell et les surréalistes à New York » conçue par Sylvie Ramond avec Matthew Affron, conservateur du Philadelphia Museum of Art, vient de s’achever au Musée des beaux-arts de Lyon en livrant en creux quelques indices sur la personnalité de sa directrice. Et ce, bien au-delà de la réussite et du grand succès populaire que fut cette exposition extrêmement pointue. « Cornell est sans nul doute sa plus belle exposition, la plus personnelle aussi », estime Pierre Wat, professeur d’histoire de l’art contemporain à l’université de Paris I et cocommissaire avec Sylvie Ramond de l’exposition « Étienne Martin » au Musée des beaux-arts de Lyon en 2011. Elle-même le reconnaît et l’évoque quand elle aborde « la découverte de l’œuvre de Joseph Cornell grâce à la galeriste Virginia Zabriskie » en préparant l’exposition « Collages, collections des musées de province » au Musée Unterlinden qui l’a amenée, grâce à une bourse, à faire sa première grande tournée des musées américains et allemands, à signer sa première exposition retentissante et à faire un de ses premiers achats pour les collections du Musée de Colmar (un collage de Cornell).
Des révélations déclenchées à Colmar donc et au Musée Unterlinden qu’elle dirigea dès sa sortie de l’École nationale du patrimoine « avec pour mission de lui donner une autre image que celle d’être l’écrin du retable d’Issenheim », se remémore-t-elle. L’Alsace fut à ce titre aussi une étape fondatrice de son parcours ; la première strate d’un itinéraire professionnel où elle vécut seize années denses, entre programmation audacieuse, enrichissement des collections en art ancien ou moderne, développement d’un réseau avec les musées suisses et allemands et lancement d’un programme de recherche sur le retable d’Issenheim. Elle s’est épanouie, portée par l’effervescence intellectuelle que connaissait l’Alsace avec Jacques Lassalle au Théâtre national de Strasbourg, Philippe Lacoue-Labarthe et Jean-Luc Nancy.

Résolue, douce, attentive
Au Musée des beaux-arts de Lyon, Sylvie Ramond n’a pas dérogé à sa manière d’envisager son métier de conservateur et de responsable d’institution, ni à sa manière d’être. Déterminée, elle l’a toujours été, tout comme empreinte de douceur, de ce grand calme, de cette simplicité et attention aux autres dont elle ne se départ pas et que ses interlocuteurs ne manquent pas de relever quand ils vous parlent d’elle. Jacques Gairard, ancien président du groupe Seb, collectionneur et membre fondateur du Cercle Poussin se souvient de son arrivée au Musée des beaux-arts de Lyon. « Elle voulait rapidement rencontrer les entrepreneurs, les collectionneurs ; elle désirait qu’ils s’impliquent dans une politique et un budget d’acquisition équivalent aux grandes métropoles européennes. » L’acquisition de La fuite en Égypte de Nicolas Poussin a été le premier acte de leur mobilisation, avant que ne suivent les achats de deux paysages de Fragonard, trois Soulages et un Ingres L’Arétin et l’envoyé de Charles Quint.
« En quatre ans, le club du Musée Saint-Pierre est passé de huit mécènes d’entreprises à dix-sept », se réjouit Jacques Gairard en ajoutant : « Sylvie Ramond s’attendait cette année à quelques défections ; ils viennent tous de renouveler pour un nouvel engagement de trois ans de 50 000 euros chaque année, 100 000 euros pour un trésor national ». Leur rang pourrait à la fin de l’année s’étoffer comme celui du Cercle de Poussin, l’autre club de mécènes créé, lui, par des mécènes privés. « Chaque année, le musée dispose pour ses acquisitions d’un budget de 1,5 million d’euros si l’on rajoute la contribution de la municipalité, de la Drac et de la Région Rhône-Alpes. Ce qui est exceptionnel en région », relève-t-il. Comme le fut le succès de la campagne de souscription lancée pour recueillir les 80 000 euros manquants pour l’acquisition du tableau d’Ingres L’invention du passé. Histoire de cœur et d’épée en Europe 1802-1850. œuvre que la prochaine exposition du musée mettra en avril prochain à l’honneur, tandis qu’à l’automne l’exposition De Degas à Bacon, la collection Jacqueline Delubac reviendra sur l’entrée au musée de cette collection majeure en 1998.

L’exposition comme outil de recherche
« Sylvie a toujours pensé sa programmation en fonction des collections ou de ce qui pouvait permettre de les enrichir, comme elle a toujours inscrit l’exposition dans un acte de recherche de travail sur l’archive », note Pierre Wat. « Elle est par ailleurs le seul conservateur que je connaisse qui travaille autant avec les chercheurs en histoire de l’art et qui fasse autant de pont entre la recherche universitaire et la recherche dans les musées. » Colmar ou Lyon : le lien avec l’université est pour elle fondamental. Membre du conseil scientifique de l’Université de Lyon, elle enseigne ainsi depuis 2012 à l’École normale supérieure de Lyon. La transmission constitue en effet un engagement, que ce soit auprès d’étudiants, des visiteurs que du personnel du musée invité, de la découverte en avant-première de chaque exposition avec son commissaire et autour d’un petit-déjeuner. Résultat : l’an dernier il a enregistré avec 332 000 visiteurs une hausse de sa fréquentation.
« En dix ans, elle a métamorphosé le musée, l’a inscrit dans la ville et son environnement avec une programmation très pointue », vous dit-on, elle a gagné le soutien du maire de Lyon et du conseil régional tout aussi présent en matière de politique culturelle. L’avenir ? Sylvie Ramond le voit en particulier sur le renforcement du musée à l’international en s’appuyant sur le réseau du Groupe Bizot, dont elle fait partie depuis 2012 après avoir été membre du Frame (French Regional & American Museum Exchange). Elle peut s’enorgueillir d’être la seule en région à avoir intégré ce comité regroupant les responsables des plus grands musées internationaux d’où les vicissitudes de la course à la présidence du Louvre doivent lui sembler un épisode lointain.

Sylvie Ramond en dates

1959 Née à Bourg-en-Bresse

1986-1988 Élève de l’École nationale du patrimoine

1988-2004 Directrice du Musée d’Unterlinden (Colmar)

Depuis 2004 Directrice du Musée des Beaux-arts de Lyon

Depuis 2010 Professeur associé à l’École normale supérieure de Lyon

Consulter la fiche biographique de Sylvie Ramond.

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Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°408 du 28 février 2014, avec le titre suivant : Sylvie Ramond, directrice du Musée des beaux-arts de Lyon

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