Qualification

Le statut juridique des masques Hopi

Par Alexis Fournol (Avocat à la cour) · Le Journal des Arts

Le 29 janvier 2014 - 1015 mots

En 2013, deux ordonnances de référé ont refusé la suspension de ventes aux enchères de masques Hopi, soulevant la question de leur statut juridique et de leur acquisition.

La vente d’objets dénommés d’art tribal suscite tout à la fois l’intérêt des collectionneurs et les revendications de certains peuples dont le patrimoine, culturel et cultuel, est dispersé en ventes publiques. Trois ventes ont ainsi été particulièrement médiatisées l’an passé, la première ayant été organisée par l’opérateur Neret-Minet, Tessier & Sarrou en avril, les deux autres par la société EVE en décembre 2013. Plus de quatre-vingt-dix masques katsinam, utilisés lors de cérémonies sacrées par la tribu des Hopis, Amérindiens d’Amérique du Nord, et considérés comme la matérialisation des esprits de la tribu, dotés d’une vie propre, ont été mis aux enchères. Tant la tribu Hopi que l’association Survival International France ont contesté en référé ces deux ventes, demandant leur suspension et la mise sous séquestre judiciaire desdits masques dans l’attente d’un jugement au fond, afin d’obtenir toute information nécessaire à la détermination de leur origine. Cependant, le tribunal de grande instance de Paris a retenu par deux fois, le 12 avril et le 6 décembre 2013, l’irrecevabilité à agir de la tribu Hopi et refusé la suspension desdites ventes.

Au terme de la première ordonnance, l’irrecevabilité résidait dans le non-respect du principe dit du contradictoire, tandis que la seconde ordonnance retenait le défaut de personnalité juridique de la tribu, ne lui permettant pas d’ester en justice, sans pour autant s’appuyer sur une disposition spécifique du code de procédure civile. Ainsi, seule l’association Survival pouvait procéder à la défense des intérêts des Hopis. Mais les procédures intentées n’ont nullement emporté l’adhésion du juge des référés qui a ainsi refusé par deux fois l’application de l’article 809 du code de procédure civile permettant de prononcer des mesures conservatoires – ici la suspension et la mise sous séquestre – afin de prévenir un dommage imminent ou de faire cesser un trouble illicite. Aussi séduisants soient-ils, les différents arguments avancés ne pouvaient, en effet, emporter approbation, notamment ceux ayant trait à la qualification juridique des masques hopis.

La sépulture selon les Hopis et selon les juges
L’association Survival soutenait que les masques hopis constituaient tout à la fois des sépultures et des souvenirs de famille, deux qualifications plaçant ces objets en dehors de la sphère commerciale, conformément à l’article 1128 du code civil. Or, la sépulture consiste en l’ultime demeure d’une dépouille humaine, sous quelque forme que ce soit. C’est pourquoi, la première ordonnance a, à juste titre, retenu que ces masques « ne peuvent être assimilés à des corps humains ou à des éléments du corps de personnes existant ou ayant existé, susceptibles d’être protégés sur le fondement [de] l’article 16-1-1 du code civil ». La seconde ordonnance précise qu’ils ne peuvent non plus être assimilés à des objets de sépulture « dès lors qu’ils ne portent pas sur des restes de corps humains, justifiant de ce seul fait, le respect dû aux morts, mais seulement sur l’esprit des morts ». Fabriqués par l’homme, ces masques ne pouvaient être considérés comme contenant une quelconque parcelle d’humanité, quand bien même ils renfermeraient les « esprits » de la tribu.

S’agissant des souvenirs de famille, l’ordonnance du 6 décembre 2013 retient que le juge des référés « ne peut pas se référer aux traditions alléguées de la tribu Hopi pour considérer que les objets litigieux doivent ipso facto rentrer dans la catégorie des souvenirs de famille incessibles », c’est-à-dire d’objets ayant une valeur essentiellement morale et pouvant déroger aux règles habituelles de succession. Cet argument apparaissait peu convaincant. En effet, il aurait fallu d’une part qualifier la tribu hopi de famille, et d’autre part, assimiler les esprits katsiman à des membres de la tribu représentés par ces masques. Or, la Cour de cassation avait retenu le 29 mars 1995 l’impossibilité de donner à la notion de souvenirs de famille une interprétation extensive en y « incluant notamment des tableaux qui ne sont pas des portraits de famille, des albums d’aquarelles illustrant des voyages ou une parure ». Surtout, l’argument s’avère en lui-même paradoxal, puisqu’il suppose un dépositaire préalable du bien, ce que dénie la tribu hopi. De même, dès leur création, ces objets auraient revêtu un caractère ancien, une trace du passé, ce qui s’avère juridiquement bien délicat à soutenir.
Enfin, « le seul fait que ces objets puissent être qualifiés d’objets de culte, de symboles d’une foi ou de représentations divines ou sacrées ne saurait leur conférer un caractère de biens incessibles », la vente d’objets de culte n’étant pas interdite en France. Quel que soit le caractère choquant ou blasphématoire de la vente, une telle « considération morale et philosophique » s’avère ainsi insuffisante.

Les conditions de cession des masques
La véritable question reposait en revanche sur la chaîne de cessions de ces masques et de leur caractère ou non douteux. En effet, il était soutenu que tout achat et revente d’objets religieux appartenant à la tribu Hopi étaient en soi illégal, car l’objet n’est jamais la propriété d’un membre de la tribu, mais au contraire de son ensemble. Paradoxalement, les deux ordonnances retiennent que l’association Survival ne démontrait nullement le caractère douteux des conditions d’obtention et d’exportation des objets, alors qu’il s’agissait là de l’objet même de la demande. Si la Convention de l’Unesco invoquée paraissait bien délicate à mettre en œuvre afin de demander la suspension de la vente, en revanche, le Recueil des obligations déontologiques de février 2012 pourrait permettre de reconstituer l’histoire des différentes cessions de ces masques. En effet, les opérateurs doivent dorénavant vérifier l’origine des biens mis en vente, s’abstenir en cas de doute de mettre en vente lesdits objets et en informer les autorités compétentes.

Or, la quasi-totalité des masques de la dernière vente a été acquise par une association américaine au profit de la tribu. Il sera alors possible pour cet adjudicataire de connaître l’identité des vendeurs et de reconstituer ainsi l’histoire de ces objets afin d’obtenir, le cas échéant, l’annulation des ventes antérieures. Les masques hopis n’ont pas encore révélé tous leurs secrets.

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°406 du 31 janvier 2014, avec le titre suivant : Le statut juridique des masques Hopi

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