Le soutien à la scène française n’est pas la priorité des collections d’entreprises même si, ici ou là, quelques-unes se distinguent par des achats, commandes ou prix visant la création en France.
Lorsque l’on évoque les collections d’art des entreprises, bien souvent, la tentation guette de n’y voir qu’une volonté spéculative, tant les a priori sont tenaces en France. « Ce qui est sûr, c’est que l’image de ces collections n’est pas encore très bonne : il y a un gros travail à faire sur la légitimité des collections d’entreprises » souligne Aline Pujo, présidente du IACCCA (International Association of Corporate Collections of Contemporary Art). Pourtant, les collections d’entreprise commencent à avoir un bel historique en France en terme de soutien à la création. De 1967 à 1985, sous l’impulsion de Claude-Louis Renard, l’entreprise Renault s’engage dans une politique d’acquisitions et de commandes auprès des artistes, Tinguely, Armand, Dubuffet en tête. Il s’agissait alors de rapprocher le milieu industriel et artistique. Aujourd’hui, la collection compte trois cents œuvres marquantes de l’art moderne.
Grande variété de collectionneurs
En France, certaines grandes figures de proue comme la Fondation Louis Vuitton, HSBC, Neuflize, ou encore la Fondation Carmignac (elles sont une dizaine à tenir le haut du pavé) éclipseraient presque l’incroyable mosaïque de ces collections : à chaque entreprise la sienne. La réussite exemplaire de la Fondation Cartier pour l’art contemporain, devenue une marque à part entière à côté de la marque Cartier SA elle-même, illustre bien l’intérêt bien compris de tous, des décideurs aux artistes. La Fondation, créée en 1984 à une époque où ce genre de structure juridique n’était encore qu’à l’état embryonnaire en France, a participé à l’émergence et au soutien de jeunes artistes français : en 1994, la Fondation commande une installation vidéo monumentale à Pierrick Sorin, alors peu connu. En 2005, avec l’exposition « J’en rêve », ce sont 58 jeunes artistes qui trouvent un lieu pour exposer leurs œuvres, avec des commandes à Camille Henrot, Thomas Lélu ou Clémence Périgon.
Parmi les grandes collections d’art, à côté des industries du luxe qui ont par leur nature même des liens forts avec la création contemporaine, beaucoup de banques, d’assureurs, de sociétés de gestion : des entreprises où le rendement financier est le maître mot. « J’avais envie de créer une référence au beau, à l’esthétique, à l’inutilité », explique Gérard Bourret, directeur général d’OFI, société de gestion et d’actifs financiers qui, depuis 1989, expose et collectionne des œuvres d’art. « Un budget de location d’œuvres d’art aurait été trop élevé, et ne crée pas de valeur », souligne-t-il. Chez OFI, il n’est pourtant pas question de marché de l’art : les artistes entrés dans la collection sont peu connus, et souvent non représentés par un galeriste. L’entreprise, avec un budget annuel de 100 000 euros alloué à l’exposition et à l’acquisition, édite un catalogue de ses œuvres tous les trois ans, sans faire aucune communication sur la collection qui compte aujourd’hui 588 numéros de 270 peintres et sculpteurs. En interne, un site recense toutes les œuvres et chaque collaborateur y a accès. « Nous n’avons pas voulu nous professionnaliser », explique le dirigeant, qui a pendant quelques années fait appel à un comité de sélection, avant d’y renoncer, préférant des coups de cœur personnels et les propositions venues de collaborateurs, presque exclusivement français.
Internationalisation des collections
Bien souvent, les grandes entreprises n’ont pas comme priorité le soutien à la scène française en particulier : « nous tenons à la diversité géographique des œuvres que nous acquérons », insiste Aurélie Deplus, responsable des collections de la Société Générale, « cette diversité est liée à nos implantations géographiques », même si la collection est composée pour moitié d’œuvres d’artistes français parmi les 350 œuvres que compte la collection. L’internationalisation de la collection a fait écho à celle du groupe, notamment en Asie, au Brésil ou en Europe centrale. À la Fondation Carmignac, seule une trentaine d’œuvres sur deux cents est le fruit d’artistes français, et parmi les acquisitions récentes, la part belle est faite aux territoires émergents, qui inspirent une forte activité d’investissement. Collectionner des œuvres d’artistes étrangers devient parfois le symbole de l’esprit d’ouverture sur le monde d’une entreprise. D’autres font le choix inverse : ainsi la MAIF a créé en 2008 son Prix MAIF pour la sculpture, qui s’adresse « aux artistes émergents français ou francophones résidant en France ». Pour la mutuelle, il s’agit de promouvoir un savoir-faire complexe et coûteux, celui du travail du bronze, et de distinguer la scène française. Le lauréat reçoit un exemplaire de son œuvre et son moule, tandis que la MAIF conserve un second exemplaire, et accompagne l’œuvre d’un catalogue.
Vecteur de communication d’entreprise
La volonté d’une entreprise de se constituer une collection passe également par la commande. Autrefois apanage des institutions publiques, elle s’est « démocratisée » depuis les années 1980, sans toutefois se départir de sa mauvaise image. Pour la Fondation Colas, créée en 1991, c’est le cœur même de son fonctionnement. Chaque année, la Fondation de cette entreprise spécialisée dans la construction routière commande une quinzaine d’œuvres exclusivement à des peintres sur le thème de la route. À ce jour, 302 œuvres ont été ainsi réunies, avec un budget annuel de fonctionnement de 280 000 euros, dont environ trois-quarts d’artistes français. Ces commandes sur le thème de la route forment une collection hétéroclite, pensée comme des « Routes de l’imaginaire », exposée ensuite dans les bureaux du groupe et l’objet d’une publication tous les dix ans. Établir une collection n’est donc pas anodin : depuis 2003 et les lois sur le mécénat, l’action des entreprises en matière d’art contemporain s’est généralisé, accéléré et densifié. Pourtant certaines interrogations demeurent sur la portée d’une telle entreprise. Sur la question de la pérennité d’une collection, « des artistes ne souhaitent pas entrer dans des collections d’entreprise, car l’œuvre ne restera pas forcément là », selon Aline Pujo, qui souhaite, par l’intermédiaire de l’IACCCA, concourir à la professionnalisation des équipes en charge des collections au sein des entreprises.
La création d’une structure de type fondation est en cela un pas important pour l’écriture d’une collection, qui permet à une équipe de construire une démarche à part entière. Angélique Aubert, à la tête de la collection de la Société Générale de 2003 à 2013 a du faire avec les contraintes qu’impose une collection validée par un conseil d’administration : « Il ne fallait pas heurter les sensibilités des collaborateurs, et donc aller vers une vision plus consensuelle que dans une collection privée ou une collection publique », souligne-t-elle. Aujourd’hui, la jeune femme dirige la collection personnelle de Laurent Dumas, dirigeant du groupe immobilier Emerige, exposée en partie au siège de l’entreprise, à deux pas de Beaubourg. Emerige est révélateur d’une certaine façon d’envisager la collection dans l’entreprise : le dirigeant mêle sa collection à l’univers du travail, faisant profiter l’entreprise de ses acquisitions qui restent sa propriété, tout en construisant un mécénat d’entreprise très actif dans le domaine de la création : soutien aux galeries, expositions et coproduction d’œuvres dans le cadre de ses actions immobilières. À l’automne 2014, la société projette de créer un tremplin pour les très jeunes artistes, sortis des écoles. Ce type d’actions est tout aussi fondamental au soutien à la scène artistique, en parallèle de l’acte de collectionner.
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Une dynamique à construire
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Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°402 du 29 novembre 2013, avec le titre suivant : Une dynamique à construire