PARIS
Conservateur spécialiste de la mode, mais aussi performeur et écrivain, le directeur du Palais Galliera qui vient de rouvrir affiche un parcours époustouflant.
La silhouette aussi affûtée que celle d’un crayon, la prunelle qui frise, et cette houppette sur le sommet du crâne qui est comme sa signature dans le petit monde généralement plus classique des conservateurs de musée. Oliver Saillard détone par ce mélange subtil d’enthousiasme juvénile et de rigueur maîtrisée. Mais ne nous trompons pas : sous ses allures de farfadet et de dandy à l’élégance suprême (sa cravate filiforme et ses pantalons étroits ne doivent rien au hasard), se cache un travailleur forcené dont le parcours laisse pantois. Conservateur au Musée de la mode de Marseille en 1995 à l’âge de 27 ans, responsable des expositions mode au Musée des arts décoratifs de Paris quelque sept ans plus tard, puis nommé il y a trois ans à peine directeur du Musée Galliera… la liste a de quoi donner le vertige !
Un tempérament tenace
On décèle chez Olivier Saillard une éthique, un sens de la fonction, une forme d’entêtement et d’endurance aussi, qualités qu’il nous dit avoir sans doute héritées de son éducation familiale et de sa petite enfance. « Je suis né à Pontarlier [en 1967], dans le Haut-Doubs, soit la région la plus froide de France. Les hivers étaient rigoureux, les températures pouvaient descendre jusqu’à – 30°C. Ce n’est pas sans incidence sur la construction mentale », résume-t-il sobrement. Mais l’émotion semble soudain palpable lorsque le jeune historien de la mode évoque ses parents, Gaston et Renée, tous deux chauffeurs de taxi, ses quatre sœurs et son frère aîné. Un milieu modeste, mais qui avait une certaine appétence pour les choses de la culture, le monde des musées. « Ma mère, qui avait un fort tempérament, nous a inculqué l’ambition, nous a poussés à entreprendre de longues études. En même temps, dès l’âge de 14 ans, je faisais des petits boulots pour acquérir mon indépendance financière. Je me sentais suffisamment riche pour acheter un pull, des magazines », se souvient avec amusement Olivier Saillard. Au sein de cette grande fratrie, une personne va cependant jouer un rôle essentiel : Lucette, sa grande sœur, une sorte de « mère de substitution », très coquette, dont les tenues extravagantes pour le Pontarlier de l’époque (« des robes années 1940 taillées dans de la crêpe de soie rose-thé ») vont subjuguer le jeune adolescent. « Lucette a certainement été fondatrice. Je la regardais avec admiration s’apprêter lorsqu’elle sortait le soir », se souvient Olivier Saillard. Parallèlement, à l’école, naît très tôt ce goût pour l’écriture, qui ne le quittera plus jamais. « On ne met pas de note à des choses si belles », l’aurait complimenté Madame Hélène Lampert, son professeur de français dont il susurre encore le nom avec respect… Mode et littérature seront donc les deux déesses tutélaires du jeune Olivier, qui s’inscrit pourtant, par sens du devoir, à la faculté de droit de Besançon. Mais ce sont les cours d’histoire de l’art que suivra avec bien plus d’enthousiasme l’apprenti étudiant ! Ses centres d’intérêt balanceront alors entre archéologie et art contemporain. Très vite, cependant, Besançon n’étanche pas suffisamment sa soif de découvertes. Montpellier, où son frère réside, lui tend alors les bras avec son université Paul Valéry (où un certain Christian Lacroix a étudié quelque dix ans plus tôt). Dans cette ville du Sud, il découvre cette sensation nouvelle de liberté, de soleil. « Pour moi, Montpellier, c’était comme être à Tahiti », confesse avec une pointe d’amusement Olivier Saillard, qui avoue n’avoir jamais pris de vacances en famille. Certes, il y avait ces fréquents séjours à Paris, durant lesquels l’enfant aimait se perdre dans les salles alors désertées du Louvre. Il s’y ennuyait aussi beaucoup et emportait souvent avec lui un livre. Mais de ces après-midi passés à vagabonder seul dans les longues galeries lui est sans doute venu ce goût de la promenade dans les musées, cette contemplation solitaire des chefs-d’œuvre… Les premiers chocs esthétiques seront pourtant contemporains : Yves Klein d’abord (« on pouvait faire de l’art avec une forme dématérialisée »), mais aussi Robert Filliou (« il venait comme moi d’un milieu modeste, cela me rassurait »). L’œil et le jugement du jeune esthète se forment alors, s’affinent. Il fait sienne aussi la théorie de Jean Dubuffet dénonçant les hiérarchies asphyxiantes de la sacro-sainte « culture ». C’est aussi l’époque où avant d’être vieux on s’autorise toutes les audaces, toutes les métamorphoses. Tout en préparant sa maîtrise d’histoire de l’art, Olivier Saillard adopte un look tirant vers le punk, pratique avec passion le dessin de mode, rêve de Paris… Le hasard fait bien les choses. Objecteur de conscience, Olivier Saillard fera son service militaire au sein même du Musée des arts décoratifs de la rue de Rivoli, « au beau milieu des chiffons » comme il aime le souligner lui-même. On connaît la suite !
Rencontres décisives
De sa rencontre avec le conservateur général du patrimoine Pierre Provoyeur – qui, en homme de musée, détecte très vite les qualités du jeune homme –, va dépendre son destin. Recruté au sein de ce temple de la mode, Olivier Saillard apprend sur le tas son métier. Une femme va encore le guider dans cet apprentissage : Nadine Gasc qui, selon ses propres dires, « déniaise son regard », lui fait éplucher tous les numéros de Vogue des années 1920. De ces années « d’École du Louvre de la mode et de la vie », Olivier Saillard semble conserver un souvenir particulièrement ému… Mais les « sirènes du Sud », là encore, seront plus fortes. Nous sommes en 1995, et Bernard Blistène, alors directeur des musées de Marseille, cherche à recruter un conservateur pour le Musée de la mode qui s’apprête à ouvrir. La rencontre sera, là encore, déterminante : Blistène est d’emblée séduit par ce jeune homme érudit et facétieux tout à la fois. « Je portais à l’époque un kilt sur un jean et connaissais à peine le mot conservateur de musée », s’amuse encore Olivier Saillard. Les cinq années passées dans la cité phocéenne lui offriront cependant un formidable tremplin, en même temps qu’un sens de la discipline et de la rigueur dont il ne se départira jamais. « Sous les époux Vigouroux, Marseille avait quelque chose d’alternatif, on ignorait les clivages », se souvient Olivier Saillard. Le jeune conservateur y signe alors des expositions mémorables, dont la nouveauté des sujets (« La mode au corps », « Christian Lacroix et le théâtre », « Andy Warhol, The Fashion Look ») le dispute à l’inventivité des scénographies. Ici des patchworks de papiers peints, là des champs de chaussures piquetées comme des oiseaux… C’est avec la même fièvre créatrice qu’Olivier Saillard montera, de 2002 à 2010, des projets d’expositions aux côtés de Béatrice Salmon, la très dynamique directrice du Musée des arts décoratifs de Paris. On se souvient ainsi de cette parenthèse enchantée que fut celle consacrée, en 2005, à Yohji Yamamoto, intitulée avec modestie « Juste des vêtements » : le visiteur pénétrait au cœur même de l’atelier et du processus créateur du grand couturier japonais. Loin, bien loin des rétrospectives compassées alignant les tailleurs et les robes comme autant de dépouilles désincarnées. Il est vrai que le jeune homme succombe, la même année, à l’esthétique nipponne : il est invité à séjourner cinq mois à la villa Kujoyama à Kyoto, l’équivalent de la Villa Médicis. On ne pouvait rêver meilleure immersion…
Des talents encore cachés
Il est cependant un jardin qu’Olivier Saillard a longtemps tenu secret : celui de son activité de performeur et d’écrivain. Seule une poignée d’aficionados assistait alors à ses défilés de mode aux allures de manifestes littéraires où l’on croisait Violetta Sanchez, mannequin vedette des années 1980, défilant telle quelle, tandis que le poète annonçait le numéro et le nom du modèle. Soit des moments de pure magie qui sont devenus mythiques au sein du microcosme de la mode… Désormais Olivier Saillard récidive au grand jour, comme ce fut récemment le cas au Palais de Tokyo, en octobre 2012 : maquillée, gantée et vêtue de blanc telle une statue antique, la grande actrice britannique Tilda Swinton portait dans ses bras les vêtements, improbables et fragiles nourrissons. « Avec ce défilé-performance baptisé The Impossible Wardrobe, je crois que nous avons inventé là une nouvelle façon de montrer la mode », résume sobrement Olivier Saillard.
Pour l’heure, cet homme-orchestre caresse le rêve de réinventer l’art des expositions au sein du palais Galliera dont il a pris les rênes depuis 2010. Ainsi, les créations du grand couturier d’origine tunisienne Azzedine Alaïa qu’il a choisi d’exposer dans son musée tout juste rénové sont, à ses yeux, des « œuvres d’art à part entière », des « sculptures textiles ». « Mon souhait le plus cher est justement de présenter ici la mode comme de la sculpture », résume Olivier Saillard, qui aime comparer sa mission à celle d’un « chorégraphe à la tête d’un ballet ». Même si ses danseurs sont des costumes avec lesquels il joue avec virtuosité, rigueur et humour…
1967 Naissance à Pontarlier, dans le Doubs.
1995 Nommé conservateur au Musée de la mode de Marseille.
2002-2010 Responsable des expositions mode au Musée des arts décoratifs, à Paris.
2003 Fonde une « maison de mode spécialisée dans l’écriture du vêtement » baptisée SOS (Saillard, Olivier Saillard).
2010 Prend la direction du Palais Galliera, le Musée de la mode de la Ville de Paris.
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Olivier Saillard, directeur du Palais Galliera
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Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°398 du 4 octobre 2013, avec le titre suivant : Olivier Saillard, directeur du Palais Galliera