Décédé le 9 avril des suites d’une longue maladie, Zao Wou-ki restera dans les mémoires comme le premier artiste d’origine chinoise à avoir conquis la France. Débarqué à Marseille en 1948, le maître de l’abstraction lyrique a construit son œuvre en mêlant les traditions occidentale et orientale. La fin de sa vie a été marquée par des batailles judiciaires.
NYON (Suisse) - Zao Wou-ki fut de ces hommes qui ne disent pas, ou peu, certains que la parole dilue et dilapide. De ces hommes ambivalents, capables de conjuguer le noir et le blanc, le jaune et le violet, l’air et le feu, le yin et le yang, de les apposer, jamais de les opposer. Sa vie, l’artiste la mena entre les lignes et les mots, là où vibrent les nuances.
Né à Pékin le 1er février 1920, Tsao Wou-ki appartenait à une famille intellectuelle et aristocratique, de celles qui convoquent les arts et évoquent les aïeux, connus depuis la dynastie Song. Avec son grand-père pour cicérone, l’enfant arpenta la calligraphie, en ce pays qui ne saurait disjoindre l’écriture de la forme, le sens du signe.
Le jeune Wou-ki gagna en 1935 Hangzhou et son École des beaux-arts, manière d’y faire ses gammes et ses académies puis d’y obtenir un rôle d’assistant, six ans plus tard, en 1941. Là, l’adolescent étudia les techniques traditionnelles et éprouva la peinture occidentale, avec ses deux termes inédits : l’huile et la perspective, la pesanteur du monde et sa représentation illusionniste. Du planisphère, Tsao Wou-ki savait peu de chose. Du monde que l’on disait nouveau, son oncle rapportait des magazines, chauds de promesses bariolées. De ce continent que l’on disait vieux, il compulsait les livres pour faire de Matisse et Monet des tropiques désirables. En 1947, à Shanghaï, une exposition scellait son histoire : elle lui rendait justice et attisait ses rêves d’ailleurs.
Revenir à l’encre de Chine
En 1948, l’artiste quitta la République de Chine, peu avant qu’elle ne devienne populaire. Ambivalent, ce geste de survie, qu’il estima « chirurgical », occasionna une joie et une peine : Tsao Wou-ki emportait celle qu’il avait épousée à l’âge de 17 ans mais laissait aux siens le devoir de s’occuper de son jeune fils. Trente-six jours plus tard, le couple débarquait à Marseille. Tsao devenait « Zao », manière de franciser son identité chinoise, d’en élimer la consonance exotique. Non pas une répudiation, mais une concession. Comme une cicatrice, de celles que l’on s’impose pour ne pas oublier. Scarification de la mémoire.
À Paris, Zao Wou-ki réserva sa première sortie à ce Louvre qu’il connaîtra par cœur, comme seuls le pénètrent les déracinés, avec cette envie d’en découdre et cette volonté de savoir. Installé dans le 14e arrondissement, non loin d’un archipel rêvé, d’un Mont Parnasse, l’artiste côtoya les plus fiévreux, parmi lesquels Alberto Giacometti l’incandescent.
Devant ces sismographies lumineuses, ces espaces du dedans, Henri Michaux écrivit huit poèmes avant de suggérer au jeune homme une idée aussi noire que lumineuse : revenir aux origines et à cette encre de Chine. L’ambivalence, toujours, comme une entorse aux sens communs et aux lignes droites.
Gloire et fortune
Hanté par Klee, abstrait depuis 1954, celui dont le prénom signifie « sans limite » fit de la toile une épiphanie merveilleuse, de la couleur pulvérulente, une perforation du mystère ; de l’intimité, un sanctuaire universel. Ses œuvres peuplèrent les expositions comme les collections internationales et hissèrent leur auteur au rang d’icône, entre ascétisme subtil et lyrisme retenu, entre Orient et Occident.
Admiré, y compris dans son pays natal pourtant longtemps malveillant à son égard, Zao Wou-ki afficha en toutes circonstances un sourire que démentit souvent sa peinture, apte à trahir les états d’une âme chahutée par les blessures : une rupture douloureuse avec sa première épouse (1957), la mort insoutenable de la deuxième (1972), la perte de son père ou les humiliations du régime communiste.
Cumulant les distinctions et les honneurs, membre de l’Académie des beaux-arts depuis 2002, l’artiste put voir ses toiles franchir allègrement les millions de dollars. Atteint de la maladie d’Alzheimer depuis une dizaine d’années, le Chinois naturalisé français en 1964 avait « jeté l’encre » pour ne conserver que l’aquarelle et s’installer en Suisse, en 2011. Ces derniers mois, une lutte acharnée opposa son fils à sa troisième compagne, ancienne conservatrice du Musée d’art moderne de la Ville de Paris, le premier reprochant à la seconde d’exploiter la fragilité d’un être dépossédé de lui-même. De l’ambivalence devenue un déchirement.
Zao Wou-ki, lui, signait avec des caractères chinois et des lettres romanes. En dépit de tout.
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Zao Wou-ki s’est éteint
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Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°390 du 26 avril 2013, avec le titre suivant : Zao Wou-ki s’est éteint