La nouvelle « Cité des arts » conçue par l’architecte Christian de Portzamparc a enfin rouvert ses portes.
RIO DE JANEIRO - Lorsqu’en 2002 Christian de Portzamparc débuta la construction d’une nouvelle Cité de la musique à Rio, au Brésil, il dut rêver d’offrir à cette ville l’équipement musical de pointe qui lui manquait. Dix ans plus tard, l’architecte mélomane, pourtant résident épisodique de Rio, n’a même pas assisté à l’inauguration de la rebaptisée « Cité des arts », dernier épisode d’un feuilleton désolant pour la ville et sa culture.
Le quartier de Barra da Tijuca, à l’ouest de Rio, est en pleine expansion. La population a doublé en dix ans pour atteindre plus de 300 000 habitants aujourd’hui, tout comme ses gratte-ciel anarchiques et son parc automobile. Les travaux du métro, évoqués en 2002, n’ont commencé qu’en 2012. Une nouvelle ligne de train devait faire de l’emplacement choisi pour la Cité de la musique un terminus atypique, porte d’entrée culturelle sur la ville. Pour l’heure, nulle voie ferrée, mais un embouteillage quotidien et un dépôt de bus pour voisinage immédiat. En effet, la monumentale caravelle de béton de Portzamparc (d’une surface de 90 000 mètres carrés), est certes située entre mer et montagne, comme le note le site de l’architecte, mais surtout à la jonction de deux des principaux axes de circulation de la ville. Au milieu de cet échangeur autoroutier, elle doit héberger une technologie acoustique de pointe pour un complexe culturel unique en Amérique latine : une salle principale modulable (1 400 ou 1 800 places) selon la nécessité d’accueillir philharmonie, opéra, théâtre ou musique populaire ; deux théâtres, trois salles de cinéma, près de quinze salles de répétition et d’enregistrement, deux restaurants, et un espace de boutiques… Le tout existe bel et bien aujourd’hui, mais à des degrés de finition très divers.
Mauvaise gestion
La première ouverture, précipitée à la fin de l’année 2008 par l’ancien maire avant sa défaite électorale, avait entraîné un audit du nouvel élu, Eduardo Paes, puis une fermeture logique pour trois nouvelles années de travaux sur les infrastructures bâclées ou ignorées (égouts, électricité…). Lors de l’inauguration le 3 janvier dernier, de nombreux espaces encore clos ont accueilli les spectateurs venus assister à la première d’une comédie musicale. Le maire ne s’est pas déplacé, et n’a donc pas constaté le retard dans la constitution des équipes d’accueil ni les toilettes bouchées, l’aménagement extérieur partiellement en friche et la signalisation défaillante. La presse brésilienne et internationale relaie l’impression générale : le projet, « arlésienne » minée par son surcoût (entre 100 et 200 millions d’euros selon les estimations, sur un total d’environ… 240 millions d’euros) est devenu un symbole de la mauvaise gestion.
La principale victime de cet imbroglio urbanistique, politique et budgétaire est la programmation culturelle de la ville. L’Orchestre symphonique brésilien (OSB) devait, dans le projet initial, y déplacer son siège. Transfert annulé. L’OSB déclare ne pas connaître son avenir et renvoie à un laconique « ce que la préfecture annoncera ». Sur place, l’accès nous a été refusé. Pour seule réponse, Emilio Kalil, ancien secrétaire municipal à la culture ayant pris en novembre 2012 la direction de ladite Cité, confirme l’abandon de l’idée, jugée « trop exclusive », au quotidien O Globo : Comprenne qui pourra. La programmation du lieu ? Elle sera officiellement annoncée « début mars ». Quand la presse suggère que la charrue a précédé les bœufs, le nouveau directeur nuance : « la naissance d’un bébé est toujours rapide [sic]. C’est l’éducation de l’enfant qui prend du temps ». Comprendre entre les lignes : en héritant d’un pareil projet, on accepte l’inacceptable pour pouvoir avancer. Celui qui veut « changer les mentalités sur la politique culturelle » et « faire venir Jack Lang [sic] pour un symposium sur l’utilité de la culture », décrit son grand « défi » : trouver les 10 millions d’euros annuels nécessaires au fonctionnement de la Cité, « dans le mécénat privé plutôt que dans les deniers publics ». C’est tout le mal que l’on souhaite aux mélomanes et aux contribuables de Rio.
Ce feuilleton non terminé reflète la double difficulté, pour un projet artistique d’envergure mondiale, d’exister à Rio : les pouvoirs publics tardent à considérer la culture comme un levier de croissance, tandis que le manque criant d’infrastructures freine le développement économique et redistribue constamment les priorités politiques.
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Cacophonie à la Cité
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Abonnez-vous dès 1 €Christian de Pomparzac, Cité des arts, Rio. © Photo : H. Magalhães
Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°385 du 15 février 2013, avec le titre suivant : Cacophonie à la Cité