Véronique Wiesinger - Directrice de la Fondation Giacometti

Véronique Wiesinger, directrice de la Fondation Giacometti, est devenue une figure de la lutte contre la contrefaçon et milite pour le droit d’auteur

Par Vincent Noce · Le Journal des Arts

Le 15 janvier 2013 - 1772 mots

Parfois contestée pour ses méthodes abruptes, Véronique Wiesinger, qui dirige la Fondation Giacometti depuis 2003, est devenue une figure de la défense du droit d’auteur.

Véronique Wiesinger est un être à part. Peu connue du grand public mais très appréciée de nombre d’artistes, elle s’est imposée à la tête de la Fondation Alberto-et-Annette-Giacometti. En 2007, dans une mémorable exposition au Centre Pompidou, elle a donné un aperçu de la richesse du fonds d’atelier reçu en legs. Aujourd’hui, elle est une figure de proue de la lutte contre la contrefaçon.

Sa présence n’est pas tonitruante, mais son passage ne passe guère inaperçu. Les avis à son sujet sont aussi tranchés que sa personnalité. Rue de Seine, elle n’est guère populaire. Dans les galeries, elle passe pour « une emmerdeuse ». En cause, le refus obstiné de délivrer des certificats d’authenticité dès lors que l’exemplaire lui paraît illégitime. Les marchands lui reprochent son intransigeance. Elle fait observer que, depuis sa création en 2004, le Comité Giacometti, chargé de l’authentification, a délivré 647 certificats pour 755 œuvres examinées. Et a engagé seulement onze procédures en neuf années.

Certes, de toutes les fées l’ayant embrassée au berceau, la diplomatie ne devait pas être la première. Dans ce monde habillé de consensus, tout en étant miné par la rumeur et l’intrigue, son franc-parler surprend. Un diamant brut. Peut-être aurait-elle été davantage à sa place du temps où les chroniqueurs maniaient la polémique sans peur, avant, au besoin, de se retrouver sur le champ de duel. Mais il aurait fallu qu’elle soit à la fois un homme et vivant à une autre époque, et cela fait beaucoup.

« Devenir artiste »
La jeune fille au sourire timide et aux yeux flous est née il y a cinquante-trois ans à Paris, d’un père marchand de timbres d’origine hongroise, plutôt taiseux, et d’une mère à l’ascendance berrichonne. L’accès à la culture, elle se l’est frayé en solitaire. « Dès l’âge de 10 ou 11 ans, j’étais plongée dans les bouquins, j’allais au Louvre toute seule où j’admirais surtout l’art égyptien, le syndrome classique à cet âge-là, je suppose. » De deux ans la cadette de sa classe, Véronique n’avait guère de copains. « Je n’avais qu’une envie, devenir artiste. À 16 ans, il me fallut choisir entre mes deux passions, l’art ou les maths et la physique. » Compromis avec les parents, forcément bancal : études d’architecture. « On ne peut pas tordre sa nature longtemps », affirme celle que l’on voit en effet difficilement plier comme le roseau. Elle n’a pas dû rater tous les cours, vu le lien privilégié qu’elle a entretenu avec l’architecture et ses praticiens. Mais c’est finalement l’histoire de l’art qui va la ravir.

Devenue conservateur des musées de France, Véronique Wiesinger entame une carrière atypique. En terre picarde d’abord, où Pierre Rosenberg lui propose de s’occuper à Blérancourt (Aisne) de la rénovation du musée national dédié aux échanges entre la France et l’Amérique (1). « J’étais sans doute la seule dans notre pays à m’être intéressée à l’art américain avant 1945, le projet était très excitant.  » Après avoir suivi l’extension du musée par Yves Lion, dont l’architecture fut primée par une Équerre d’argent, elle fait quintupler la fréquentation par rapport à l’ouverture en 1982.

Appuyée par l’historien de l’art, elle multiplie les contacts avec les universités américaines et les centres de recherche comme celui de la Smithsonian (Washington D.C.), décroche des donations enrichissant notamment le fonds Empire. Sa dernière enquête porte sur les Américains détenteurs de la Légion d’honneur. « J’ai voulu rendre hommage à ces jeunes sortis du lycée, venus comme brancardier risquer leur vie en Europe. J’étais heureuse de trouver de belles valeurs d’entraide, de confraternité, dans un musée qui n’était pas seulement consacré à l’art mais aussi à l’histoire. » Cette approche globale a, dit-elle, « changé sa vie ». Elle passe beaucoup de temps dans les archives – « ma maladie » – à dresser la liste des Américains décorés ou de ceux inscrits dans les écoles d’art à Paris.

Le grand chancelier la sollicite alors pour s’occuper de l’agrandissement dont il rêve pour le musée de la Légion d’honneur à Paris. Des champs de betteraves au parvis d’Orsay, il s’agit toujours pour elle « de faire entrer la vie au musée ». Avec Anne de Chefdebien, elle monte des expositions comme celle consacrée aux portraits au pastel d’Eugène Burnand. Elle se consacre aux ordres de chevalerie, qui sont aussi portés dans le titre de l’établissement. « Il y avait la queue dehors, c’était formidable. On n’avait pas un sou, mais c’est souvent alors que se révèlent les bonnes volontés », note-t-elle en ayant conservé le souvenir d’un gardien qui déclamait des pages dans les galeries.

Nouveau départ : en 1995, Rodolphe Rappetti, qui supervise les musées de Strasbourg, l’appelle à ses côtés pour ses compétences en art moderne et contemporain et préparer le nouveau musée. « Je fais tout, je travaille dix-huit heures par jour, une chose qui n’a pas changé. » Elle fait tourner la collection au Japon, parlant d’« ambition internationale » tout en lui conservant « son caractère strasbourgeois » : « Il faut toujours revenir à l’impulsion et à la générosité de départ pour essayer d’aller de l’avant. » 

Lutte contre la contrefaçon
Sans s’appesantir, Rappetti évoque aujourd’hui des relations « complexes »... Un conflit dresse son adjointe contre le directeur  du nouveau musée, opposé à l’accrochage d’une centaine d’objets de design venus du Centre Pompidou, alors que les vitrines ont été montées. Le gaspillage la scandalise, les relations s’enveniment. Ayant au passage défendu Vasarely et travaillé sur l’art abstrait, la jeune femme se voit proposer en 2001 de s’occuper de la succession Giacometti. « Je vous préviens, je ne vais pas faire de compromis », lance la Doña Quixote. « Je sais très bien, c’est pour cela que je vous ai appelée », réplique Françoise Cachin, qui dirige les Musées de France.
Quinze ans après le lancement du projet par la veuve du sculpteur, Annette Giacometti, et huit après son décès, très peu croient aux chances de voir la fondation naître un jour. Véronique Wiesinger vient seconder Jacques Vistel, haut fonctionnaire irréprochable, appelé à présider la fondation qui voit le jour fin 2003. L’État a dû forcer le passage, au prix de la mise à l’écart de l’association des Amis d’Annette.

« Tout est à inventer, il faut construire la maison » : nommée directrice, Véronique Wiesinger plonge dans l’héritage du sculpteur. L’équipe peine à se pérenniser ; aux litiges complexes, avec l’association, les Maeght ou la famille suisse, s’ajoute un grand procès de trafiquants outre-Rhin. Elle a le sentiment que « l’omniprésence de la contrefaçon va dessiner le contour de l’appréhension de l’œuvre ». Elle oriente toute l’action de la Fondation en fonction de cette appréciation. « Va-t-on se faire engloutir par des procédures sans fin, ou bien essayer de tarir le fleuve à la source ? » Elle met en place un « réseau sur des critères de désintéressement, de bonne volonté et de croyance dans l’art », s’inquiétant de la faiblesse des titulaires, confrontés à un droit planétaire disparate. Elle parvient à instaurer une association de détenteurs de droit en art décoratif (2) à laquelle elle donne une assise internationale, en y associant notamment la Fondation Dalí. Elle obtient à grand-peine d’ajouter la création artistique à la mission du Comité national anti-contrefaçon, monopolisé par les marques de luxe. Elle exhorte des fonctionnaires un peu ébahis à une mobilisation générale, attendant avec impatience le chantier de la grande loi promise sur le patrimoine.

En même temps, à l’heure du numérique, elle appelle à « inventer la défense du futur », en réfléchissant aux moyens de respecter l’œuvre d’art tout en la partageant avec la communauté.
Ce combat suscite parfois les réserves de ses pairs. « Il est tout à fait justifié », estime Alfred Pacquement, directeur du Musée national d’art moderne, « mais peut-être parfois abrupt dans la forme ». Même sentiment de la part de Suzanne Pagé, qui avoue sa « sympathie » pour celle qui a « su reprendre la lecture de Giacometti, en réfléchissant à son rapport optique à l’espace ». Mais la directrice du Musée d’art moderne de la Ville de Paris devenue la responsable de la Fondation de Bernard Arnault avoue « ne pas la suivre dans toutes ses raideurs ». Citant en exemple le procès fait à l’artiste John Baldessari pour avoir copié des statues de Giacometti, qu’il a affublées d’accessoires de mode passablement ridicules pour la Fondation Prada.

« Une perle rare »
Jacques Vistel, qui la ressent « d’une honnêteté absolue », a été impressionné par « cette capacité à se jeter à corps perdu dans sa cause », combinée à un « sens élevé du service public ». Pour des notices qui auraient pu se résumer en cinq lignes, il la voyait rédiger une vingtaine de pages. « Elle est comme elle est, elle tient bon, car dans ces frictions, c’est elle qui a le plus souvent raison ».

« C’est une fille vraie, avec une idée très précise de sa mission », tranche le galeriste Kamel Mennour, qui a été ravi de lui proposer un commissariat d’exposition. « Son ambition est d’articuler une contemporanéité autour de cette figure que représente Giacometti. Elle sait ce qu’elle veut, et ce qu’elle ne veut pas faire. Mais avec des artistes comme [François] Morellet, nous sommes habitués : pour eux, un point-virgule, ce n’est pas une virgule. »

L’artiste tendance pataphysique Yann Toma voit « une perle rare », défenseur farouche des créateurs. « Elle parvient très vite à saisir ce qui prend sens dans une œuvre. Je l’ai croisée à Beaubourg, sur son vélo. Déjà, elle pédale beaucoup! C’est une femme qui a besoin de toucher le terrain. Et en même temps une visionnaire, toujours aux aguets, j’aime sa pétillance. » 

L’artiste l’a embringuée dans la société Ouest-Lumière dont il est « président à vie ». Dévoilant une autre facette de sa personnalité, elle s’est proposée comme « directrice des relations extra-terrestres ». Dénichant à New York un costume interstellaire rétro, elle s’est prêtée à l’intronisation avec un sourire mutin. Chez elle, le voyage est omniprésent, dans l’accumulation de livres, d’affiches, de coupures de journaux... Dans sa propre lettre de mission, elle doit « parler une trentaine de langues couramment, dont le plutonien, le martien et le vésuvien ». Et « gérer la communication avec les planètes extérieures », en particulier pour « la commercialisation des énergies ».

Notes

(1) Musée national de la coopération franco-américaine.

(2) l’Association des ayants droit d’artistes décorateurs et designers.

Véronique Wiesinger en dates

1959 Naissance à Paris.

1984 Conservateur des musées de France.

1989 Le Musée national de la coopération franco-américaine reçoit l’Équerre d’argent.

2003 Directrice de la nouvelle Fondation Giacometti.

2007 Commissaire des expositions « Giacometti » au Centre Pompidou et à la Bibliothèque nationale de France.

2012 Création de l’International Union of Modern and Contemporary Masters (IUMCM) faisant suite à celle de l’association française des ayants droit d’artistes décorateurs et designers.

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°383 du 18 janvier 2013, avec le titre suivant : Véronique Wiesinger - Directrice de la Fondation Giacometti

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