On sait que les artistes femmes sont sous-représentées dans les institutions culturelles et le marché de l’art.
Étonnamment, il en va de même dans la galaxie de l’Art brut, galaxie qui s’est pourtant construite autour d’une idée forte : échapper aux normes culturelles dominantes. Seulement 20 et 30 % des œuvres conservées dans les grandes collections internationales d’Art brut ont été réalisées par des femmes. Désireuses de braquer les projecteurs sur ces femmes « artistes brutes », sans doute aussi nombreuses que les hommes, Hannah Rieger et Ingried Brugger, commissaires de l’exposition, ont bataillé presque dix ans – donc bien avant la déferlante de la vague #MeToo – pour faire accepter une vaste manifestation réunissant la création hors-norme féminine, dont seules quelques artistes phares telles la Suissesse Aloïse Corbaz (1886-1964), la Nord-Américaine Judith Scott (1943-2005), la Britannique Madge Gill (1882-1961) ou la Chinoise Guo Fengyi (1942-2010), bien sûr présentes, sont très connues. Plus de 300 œuvres provenant de 31 collections, réalisées par 93 artistes (dont 14 encore vivantes) de 21 nationalités différentes se découvrent en une abasourdissante farandole de formes, de présences et de couleurs d’une liberté incroyable. Dès le hall du Kunstforum, on ne sait sur quel pied danser. De sidérantes silhouettes colorées en papier découpé de bodybuildeurs aux muscles saillants, parfois plus grandes que nature, apparaissent sur les murs, fixées avec des languettes de papier collant brun. Née en 1985, non loin de La Havane, Misleidys Castillo Pedroso, atteinte de déficit auditif sévère et d’autisme, dessine, peint et découpe ces impressionnantes présences avec une précision et une constance énigmatique. Il lui arrive de dialoguer par geste avec ses créatures collées sur tous les murs de la maison où elle habite avec sa mère. Bien d’autres stupéfactions attendent le visiteur. Cette sarabande de dessins, de peintures, de sculptures et d’objets parfois difficilement identifiables échappe à toute catégorisation. Si ce n’est qu’on n’y voit pas de machines à transporter ou à tuer, si fréquentes chez les créateurs hommes, mais beaucoup de subversives présences de visages et de corps. Un parcours d’une diversité inimaginable.
Cet article a été publié dans L'ŒIL n°723 du 1 mai 2019, avec le titre suivant : Libertés et stupéfactions au féminin