Pour sa mise en scène et adaptation de Dom Juan, David Bobée a choisi de radicaliser sa lecture du personnage de Molière et de la passer au filtre des évolutions de la société.
Théâtre - Cela fait quelques années que l’on n’admire plus la figure de Dom Juan, séducteur cynique, raisonneur implacable et porteur d’une liberté de penser qui, pendant longtemps, a atténué aux yeux des spectateurs ses penchants compulsifs à la prédation des femmes. Mais la société évolue, et avec elle ses jugements de valeur. Le personnage de Molière n’est plus autant glorifié qu’un misanthrope qui serait aujourd’hui le vrai héros luttant contre l’hypermédiatisation et ses dérives. David Bobée, directeur du Théâtre du Nord à Lille, se situe du côté des modernes et dissout sans état d’âme l’ancien mythe de Dom Juan, quitte à prendre le risque de proposer une vision univoque du personnage. Ici, le séducteur n’est plus un brillant libertin avec sa complexité et ses paradoxes, ce qui pouvait être jubilatoire. Mais il est, dans ce spectacle, un vulgaire délinquant sexuel multirécidiviste et violent. Dom Juan poursuit sa quête toxique de femmes à consommer dans un décor monumental et impressionnant. Sur scène, dans un effet de contraste avec le fond uniforme et coloré gisent des statues antiques, tombées de leur piédestal – tout un symbole ! Leur gigantisme et leurs mutilations laissent entendre un changement de paradigme social que le personnage de Molière, esseulé ou presque, ne parvient pas à comprendre. David Bobée recompose à l’envi ce champ de ruines, jouant, par les éclairages, sur une présence forte du décor et des interprètes, ou les laissant parfois en silhouettes noires. La science consommée des images chez le metteur en scène apporte, heureusement, une dimension plastique qui nuance le spectacle et le rend plus digeste, car son parti pris paraît aussi décoiffant qu’exagéré. Les acteurs, dans ce spectacle post-#MeToo, parviennent à transmettre les tensions fortes qui animent le texte d’origine, en les déplaçant dans une radicalité que Molière, sorti des circonstances de son époque, n’aurait peut-être pas reniée. On gagne en force ce qu’on perd en nuances.
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Dom Juan, la fin d’un mythe
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Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans L'ŒIL n°781 du 1 décembre 2024, avec le titre suivant : Dom Juan, la fin d’un mythe