Nous expérimentons une autre manière de vivre. Nous n’allons plus dans les musées, voir des expositions, visiter des salons ou des foires.
Nous ne pénétrons plus dans les galeries. Nous nous déplaçons moins et ne voyageons plus du tout. Toutes ces activités sont mises entre parenthèses ; elles ne sont pas supprimées, mais seulement reportées.
Nous pouvons être confinés mais le numérique nous évite de devenir « les séparés », que décrivait Albert Camus dans La Peste. Mobiles, Skype, FaceTime nous permettent de continuer à échanger oralement ou visuellement, tandis que musées, centres d’art, galeries, foires promeuvent leurs sites Internet existants ou s’activent pour en créer de nouveaux.
Ainsi, à Turin, le Castello di Rivoli a dû fermer ses portes, mais il a ouvert Cosmo Digitale. Nous parcourons ses collections commentées par la directrice Carolyn Christov-Bakargiev, mais découvrons aussi des pépites, comme la série de cinq courtes vidéos poétiques, « Ephemeris » (2016) données pour l’occasion par Giuseppe Penone, ou celle ironique de Marianna Simnett. Il y a également la conférence « tenue » par Ai Weiwei, présent virtuellement par Skype, et le Suisse Uli Sigg, présent lui physiquement au Castello di Rivoli, à l’occasion de l’exposition de sa collection d’art contemporain chinois. Fantomatique. L’événement a lieu, mais le public est absent ; l’exposition fermée et quelques bugs techniques renforcent un côté irréel.
Le marché n’est pas en reste. Art Basel’s Online Viewing Rooms a fait découvrir l’offre des 231 galeries qui n’ont pu se rendre à la foire de Hong Kong. Si l’on aime la réalité augmentée et les art toys, Acute Art a mis en vente une édition de vingt-cinq « sculptures » virtuelles de l’artiste américain Kaws. L’acheteur, sans sortir de chez lui, s’amuse à placer, déplacer « l’objet » dans l’environnement qu’il choisit, avec son téléphone mobile.
Nous nous calfeutrons mais, si nous le souhaitons nous ne sommes pas coupés du monde, pas repliés sur nous-mêmes. Tout le contraire de ce que font des États, refusant de coopérer pour bâtir une réponse sanitaire coordonnée, préférant proclamer leur suprématie et stigmatiser l’autre. Donald Trump a cru pouvoir dénoncer « un virus étranger». L’universel, déjà fortement attaqué par la montée des nationalismes, a reçu un coup supplémentaire.
Attendons alors des artistes qu’ils dépassent les hommes politiques chauvins, qu’ils continuent à tracer la voie de l’universel, comme l’ont fait leurs prédécesseurs sachant montrer les différences, la diversité, mais aussi ce qu’il y a de commun parmi tous les êtres humains, nous amenant à percevoir à travers le pluriel ce qui réunit.
Attendons également de communautés d’artistes militants, de curateurs qu’elles comprennent que toute identité est mouvante, métissée, multiple, qu’elles cessent donc de revendiquer une identité exclusive, spécifique uniquement à partir de la race, de la religion, du genre. Elles décrient l’universel comme le droit du plus fort, mais il n’y a pas d’universel sans une éthique de l’égalité, sans une reconnaissance des différences. « Nous nous savons tous exposés aux mêmes risques : changement climatique, crise économique et écologique, épidémies, terrorisme, etc. Mais alors qu’elle s’impose dans les consciences, l’unité de l’humanité recule dans les représentations : revendications identitaires, nationalismes, xénophobies, radicalités religieuses », souligne le philosophe Francis Wolff (1) pour qui « l’universel demeure la seule finalité de toutes les luttes contre les inégalités et les dominations ». Sinon, des hommes politiques et le Covid-19 réussiraient à nous reléguer à la condition, dénoncée par Camus, de « séparés », malgré le numérique.
(1) Plaidoyer pour l’universel, Éditions Fayard, 2019.
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Confiné et pourtant universel
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Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°542 du 27 mars 2020, avec le titre suivant : Confiné et pourtant universel