Égypte - Politique

TOURISME

L’Égypte parie sur son patrimoine

Par Marie Zawisza · Le Journal des Arts

Le 14 juillet 2018 - 1123 mots

LE CAIRE / EGYPTE

Pour relancer l’économie touristique, le pays investit massivement dans l’entretien de ses sites archéologiques et l’ouverture de musées.

Le chantier de construction du Grand Musée égyptien, sur le plateau de Gizeh
Le chantier de construction du Grand Musée égyptien, sur le plateau de Gizeh.
© Ehaf

Le Caire. C’est la seule des sept merveilles du monde encore debout. Mais, depuis la révolution de 2011, rares sont les touristes qui visitent encore le site des pyramides et du sphinx de Gizeh. Sur la route qui y mène, les magasins de souvenirs ont fermé. Et pourtant, à quelque 2 km du plateau de Gizeh, comme un pied de nez à cette crise, s’étend un chantier pharaonique : celui du nouveau musée du Caire, appelé « Grand Musée égyptien » (Grand Egyptian Museum, GEM), dont l’ouverture partielle est programmée dès fin 2018, et dont le Grimaldi Forum à Monaco donne un avant-goût cet été. « Ce musée sera un vaisseau amiral de la culture égyptienne. En communiquant autour de lui par des expositions internationales, nous espérons restaurer l’intérêt des touristes pour notre culture et les faire revenir dans notre pays, après sept années difficiles pour le tourisme », explique Rania El-Machat, ministre du Tourisme. Avec ses 490 000 mètres carrés et ses 17 laboratoires de restauration, ce musée, qui comptera parmi les plus grands du monde, est en effet le symbole du défi que s’est lancé le gouvernement égyptien : parier sur son patrimoine pour relancer l’économie du pays.

« Une arme contre le terrorisme »

Pour le gouvernement égyptien, le tourisme constitue un levier essentiel de la reconstruction du pays, ébranlé par la révolution de 2011. « Le tourisme [en Égypte] est considéré comme une priorité nationale impliquant tous les domaines de la politique publique et, en tant que tel, comme un instrument majeur de la consolidation de la transition », observait en 2011 Taleb Rifai, secrétaire général de l’Office mondial du tourisme. De fait, le secteur, en pleine croissance, constituait avant la révolution un des moteurs de l’économie égyptienne : en 2010, l’Égypte enregistrait une fréquentation de 14,7 millions de touristes, soit une hausse de 17,5 % par rapport à l’année précédente. Les recettes avoisinaient les 13 milliards de dollars et représentaient plus de 11 % du PIB. Dès 2011, le pays a perdu 5 millions de visiteurs, effrayés par l’instabilité politique et le terrorisme.

Une désaffection qui a touché directement le patrimoine égyptien : faute de revenus et de moyens financiers, les sites n’ont plus été entretenus ni restaurés. « L’état des monuments était très inquiétant, rappelle le ministre des Antiquités, Khaled Al-Anany. J’ai eu la chance d’arriver à mon poste en 2016, quand le pays commençait à se redresser. »

Lorsque l’armée prend le pouvoir aux Frères musulmans en 2014, le général Abdel Fattah Al-Sissi entreprend de redresser le pays, notamment par la mise en valeur de son passé archéologique. Pour aider les Égyptiens à prendre conscience du trésor national dont ils sont les dépositaires afin d’éviter de nouveaux pillages, et restaurer l’image de l’Égypte à l’étranger pour attirer des voyageurs, le patrimoine constitue désormais une priorité nationale. « Il est une arme pour combattre le terrorisme par ce qui nous est le plus cher : notre histoire », affirme Khaled Al-Anany, qui a instauré la gratuité des musées pour tous les jeunes en âge scolaire et les personnes âgées de plus de 60 ans, ainsi que des tarifs dérisoires pour les étudiants.

Car depuis 2016, la règle de l’autonomie budgétaire du ministère des Antiquités a été mise entre parenthèses. « Le soutien politique et financier que nous recevons est absolument inédit. Depuis avril 2017, j’ai reçu l’équivalent de près de 160 millions d’euros pour mes projets, et plus de 50 millions d’euros pour le seul nouveau musée du Caire, explique le ministre des Antiquités. Et le premier ministre actuel couvre tous les salaires des 35 000 employés qui dépendent du ministère, ce qui constitue un pôle de dépenses considérable. Quant aux recettes des tickets d’entrée des sites et des musées, elles sont allouées aux restaurations et aux fouilles. »

Grâce à cette politique volontariste, en 2017 et au début de l’année 2018, une petite dizaine de musées inachevés ou fermés ont pu ouvrir. Ainsi, le Musée d’art islamique, au cœur du Caire, endommagé par un attentat à la bombe en 2014, accueille à nouveau des visiteurs, à l’instar du Musée de Malawi, dans la province de Minya, saccagé en 2013 par les terroristes. Le Musée national de Sohag, qui retrace l’histoire de la région et dont la première pierre avait été posée en 1989, a pu enfin être inauguré. La rénovation du plateau de Gizeh, interrompue en 2011, a repris, pour assurer une meilleure qualité de visite aux touristes. Et le Musée national de la civilisation, au Caire, devrait ouvrir fin 2018. Quant au « Grand Musée égyptien », dont le chantier avait été interrompu en 2011, il devrait ouvrir entièrement en 2020. « Nous y exposerons pour la première fois l’intégralité du trésor de Toutankhamon. Et l’on viendra y découvrir de nouveaux chefs-d’œuvre », explique le docteur Tarek Sayed Tawfik, directeur du GEM.

Le patrimoine, un « soft power »

Car si l’engagement du gouvernement en faveur du patrimoine égyptien est un pari politique et culturel lié à la refondation d’une cohésion nationale, sa portée n’en est pas moins économique. Ainsi, pour assurer la promotion du Grand Musée et attirer les touristes qui feront redécoller l’économie, le ministère des Antiquités prête des objets pour monter d’importantes expositions à l’étranger – comme une partie du trésor de Toutankhamon, actuellement exposée à Los Angeles, avant que l’on puisse l’admirer à la Grande Halle de la Villette en 2019. « Notre patrimoine est notre soft power : en le valorisant, nous montrons que l’Égypte est un pays sûr et qui se porte bien », résume Mostafa Waziri, secrétaire général du Conseil suprême des antiquités.

Par ailleurs, les fouilles égyptiennes, qui avaient connu un sérieux coup de frein en 2011, ont repris depuis 2015 et sont aujourd’hui menées par une trentaine de missions. Le nombre de missions étrangères est passé pendant la même période de 150 à 250 – dont une vingtaine sont françaises. « En 2016, lorsque j’étais archéologue en chef du site de Louxor, j’ai demandé des financements pour des fouilles au ministre des Antiquités, qui me les a accordés. Nous avons ainsi pu exhumer deux tombes avec des pièces exceptionnelles », raconte Mostafa Waziri. Des découvertes annoncées dans les médias du monde entier.

Les autorités espèrent que la situation de l’Égypte restera stable, et que cette politique d’investissements sur le patrimoine portera ses fruits. Bien que la performance du secteur touristique égyptien reste encore très éloignée des 14,7 millions de touristes d’avant le « printemps arabe », le pays a accueilli en 2017 8,3 millions de voyageurs – alors que leur nombre était tombé à 5,25 millions en 2016. Parmi eux, les Européens semblent plus désireux de revenir en Égypte : ils étaient 4,7 millions fin 2017, contre 2,6 millions en 2016, soit une hausse de 81 %.

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Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°505 du 6 juillet 2018, avec le titre suivant : L’Égypte parie sur son patrimoine

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