Après le succès de sa première édition en 2007, « Plein Soleil, l’été des centres d’art » mobilise quarante-trois centres d’art dans toute la France. Ils proposent une programmation variée qui fait assurément la force de l’événement.
Au nombre de quarante-trois, il y a fort à parier que cet été les pas des vacanciers rencontrent l’une des salles blanches d’un centre d’art de métropole. Comme en 2007, ils se sont mis en quatre pour allier leurs talents et frapper fort. Une opération de communication qui permet de donner davantage de visibilité à des établissements fort différents. En serrant les rangs, les centres d’art offrent un front commun plus percutant.
Une centaine d’expositions
Reste que cette année, s’il est toujours aussi difficile de lire une cohérence dans cette mosaïque d’individualités, un trait saillant ressort. Et il n’est pas forcément réjouissant. La crise est bien là, vissant les boulons budgétaires, si on se base sur la durée des expositions, toutes supérieures à trois mois et flirtant pour certaines avec les six. Si d’un côté on ne peut que se réjouir d’avoir un peu plus de temps pour faire le tour du sujet, il faut s’inquiéter de l’allongement des durées qui laisse deviner un appauvrissement des structures. Et saint mécénat aura beau être invoqué, il n’est pas à la fête pour le moment. Pourtant, on sait combien ces structures sont précieuses. Elles portent l’art actuel en France, concourent à l’émergence de jeunes talents tout en offrant ses services au public, la plupart du temps gratuitement.
Alors, plus que jamais, « Plein Soleil » s’affirme comme un sursaut d’orgueil bien placé, visant à démontrer la force d’un réseau d’intelligence et de création. Certes, on aimerait qu’à l’avenir les directeurs de centres d’art pactisent et trouvent le moyen de jumeler des programmations, de faire tourner leurs expositions entre eux, d’affirmer une identité artistique un peu plus polarisée et moins nucléaire. Mais en attendant ce jour, et pour s’y retrouver parmi la centaine d’expositions le plus souvent monographiques (pour plus de lisibilité) ou à thématique ouverte, le visiteur doit s’organiser un plan de bataille entre les programmations les plus tentantes et les centres d’art qui ne déçoivent pas.
One-man show
Sur le chemin des châteaux de la Loire, la première halte peut s’effectuer au CCC de Tours qui a choisi de laisser l’intégralité de ses locaux à Kader Attia qui y a déployé sa Kasbah, une immense installation parcourable qui donne l’impression d’arpenter les toits de tôle ondulée et de palettes d’une favela. Après cette plongée dans une réalité sociale, comme à l’accoutumée sombre avec Attia, on peut trouver refuge dans l’utopie arctique que Yona Friedman et Jean-Baptiste Decavèle ont tricotée ensemble au Centre international de l’art et du paysage de Vassivière. Après avoir montré une première partie du projet au printemps à la galerie Anne Barrault à Paris, Balkis Island s’installe donc sur cette île du Limousin. Dans cet endroit cinématographique, le jeune vidéaste et l’architecte que l’on ne finit pas de redécouvrir depuis deux ans (du CNEAI de Chatou en 2007 à Arc-en-Rêve à Bordeaux en 2008 et cette année au musée d’Art moderne de la Ville de Paris) déploient leur île utopique. Balkis, du nom du chien préféré de Friedman, et une ribambelle de dessins et de projets d’habitations poétiques et écologiquement perspicaces confèrent au centre d’art de Vassivière une pertinence bienvenue envers son contexte paysager.
À la Villa Arson de Nice, deux monographies stylistiquement antagonistes brodent des récits et des situations tous azimuts. La patinoire hirsute, méchante mais jouissive déployée par Gilles Barbier dans la grande salle carrée, envoie valser toute une série d’objets au potentiel plus ou moins glissant, de la peau de banane à la déjection canine, du fromage à pâte molle aux avocats. Un bestiaire habituel pour cet artiste qui aime aménager des points de chute redoutables pour mieux débrayer les consciences.
Face à lui, l’intégralité de l’architecture brutaliste et morcelée du centre d’art est confiée au jeune Britannique Ryan Gander qui s’est aussi fait une spécialité de dérégler les objets du quotidien en les projetant dans des situations elliptiques. Après quatre mois de résidence dans le cadre propice de la Villa (qui est aussi une école d’art), Gander livrera sa version de l’exercice monographique à visée rétrospective.
Le sommaire ne serait pas complet si l’on omettait Paris, avec Martin Parr au Jeu de Paume [lire p. 96] et Richard Fauguet au Plateau, pour un même plaisir du second degré.
Jeux collectifs
Face à ces individualités saillantes, d’autres centres d’art ont préféré affirmer leur présence par une exposition chorale, simplement collective ou carrément thématique, là encore il n’y a pas de règle. Peut-être une, tout de même, celle de la lisibilité pour un public plus large qu’hors période scolaire. Au domaine de Chamarande, le langage dans les arts visuels sert de point d’accrochage au programme intitulé simplement « Au pied de la lettre ». Panachant dans le château et le parc les propositions de grosses pointures comme Claude Lévêque et ses invectives retorses, Morellet et ses traits d’esprit, les installations lumineuses de Charles Sandison, les phrases du spécialiste du genre Lawrence Weiner aux discours tordus d’Eric Duyckaerts, l’exposition permet aussi de redécouvrir les critiques d’art dessinées format B.D. par Art Keller. Jeux de mots, cris et chuchotements, délire verbal, poésie et interprétations sont au rendez-vous de cette promenade littéraire.
Au Palais de Tokyo, avec « Spy Numbers », l’été se la joue espions et messages codés. Là encore, un casting alléchant qui rejoue guerre froide et guerre des mondes. Dark comme à son habitude, le centre d’art parisien surfe sur l’esthétique noir et blanc qui fait baisser la température de quelques degrés et rend tout le monde suspicieux. Il faudra y suivre les délires de Jim Shaw, s’émerveiller devant la reconstitution que Dove Allouche et Evariste Richer ont faite d’une expérience scientifique visant à comprendre la naissance des aurores boréales, écouter les nappes sonores énigmatiques de Pascal Broccolichi. On espère surtout que ces transmissions codées que sont les Spy Numbers seront un peu moins littérales et courtes que les précédentes.
Dans une autre temporalité, à Toulouse, les Abattoirs s’offrent une plongée transhistorique et tissent pour la première fois un partenariat avec le musée de la Préhistoire installé dans la grotte du Mas-d’Azil en Ariège. « DreamTime » se compose donc de deux volets, l’un inspiré par ce haut lieu des temps anciens et l’autre, urbain et livré aux fantasmes des artistes, décidément bien inspirés par ce motif, entre trou noir maléfique, synonyme de perdition, et niche originelle, symbole du début d’une civilisation. Là encore, les noms de bonne réputation s’entremêlent, de Xavier Veilhan à Virginie Yassef, de Mark Dion à Jean-Luc Parant. Certains ont eu à se confronter au génie des lieux avec une toute nouvelle réponse et d’autres ont articulé des pièces préexistantes mais néanmoins pertinentes (lire p. 110).
Et comme si tout au bout de la France, la nouvelle directrice du Quartier de Quimper, Keren Detton avait entendu cet appel au rêve toulousain, cette dernière a intitulé son opus inaugural, « Wake up please ! ». On se réveillera donc avec des œuvres comme le film de 1997 de Rodney Graham, Vexation Island et son histoire de pirates, autour de la mémoire, du rêve et de l’oubli. Dans ce générique, on remarque les noms de Roman Ondak, Sylvain Rousseau mais aussi ceux d’Allora et Calzadilla qui offrent souvent des réveils tonitruants.
Le CRAC de Sète s’offre quant à lui une plongée dans la scène contemporaine grecque, totalement méconnue chez nous. Découvertes garanties.
Enfin, à l’opposé non seulement géographique mais aussi programmatique, Yves Aupetitallot ouvre son second volet consacré aux années 1980 au Magasin de Grenoble. Alors que le premier opus s’était consacré cet hiver à balayer les notions d’espaces et d’objets, le second s’offre les « Images et (re)présentations ». Vaste sujet dans une décennie post-moderne marquée par la stratégie du réemploi, la défiance envers l’originalité et l’inédit. On y croisera Richard Prince, Cindy Sherman, Peter Halley, Martin Kippenberger, Alain Séchas, Raymond Pettibon. Du beau monde et une leçon d’histoire salvatrice à un moment où artistes et critiques ont parfois la mémoire courte. Pas de raison alors que le public ne se la rafraîchisse pas aussi.
On l’aura compris, dans cet été des centres d’art tous les choix sont permis et tous les goûts devraient finir par s’y retrouver, sans forcément avoir l’abnégation d’effectuer le tour complet des festivités. Même s’il faut bien l’avouer, la tentation est grande.
À Noisy-le-Sec et à Carjac, les résidents vous attendent à bras ouverts
Parce que l’art contemporain se niche parfois dans des lieux étonnants et merveilleux, il convient de ne pas faire l’impasse sur certains détours qui vous conduiront là dans la vallée du Lot ou ici en banlieue parisienne. Parmi les nombreuses initiatives estivales, deux d’entre elles ponctuent notamment des programmes de résidences.
À Noisy-le-Sec, la Galerie a mis en place depuis 2006 et l’arrivée de Marianne Lanavère, une résidence pour commissaire. Ce printemps, Francesco Pedraglio, un jeune Italien de 28 ans exilé à Londres, a pris ses quartiers en France pour composer « à corps et à textes ». Si la scène hexagonale ne l’a pas franchement inspiré, l’occasion nous est donnée de découvrir une nuée de jeunes talents anglo-saxons et allemands.
À l’opposé, dans le Sud-Ouest, la vallée du Lot a offert un cadre intense aux sept résidents de la Maison Daura gérée par le centre d’art de Cajarc. Art orienté objet (Aoo), Amy Balkin, Gilles Bruni, Seamus Farrell, Romain Pellas et Akira Sunrise ont planché au printemps pour proposer un parcours en osmose avec les grottes, les paysages et le biotope lotois, thématique environnementale oblige. Le duo d’Aoo composé de Marion Laval-Jeantet et Benoît Mangin a notamment prolongé à Saint-Cirq-Lapopie (village d’André Breton) ses recherches initiées au Cameroun sur la déforestation, les dysfonctionnements environnementaux et la paupérisation paysagère. Dans ce parcours de la vallée du Lot, les expositions alterneront ainsi avec les œuvres en plein air et iront chercher le vacancier sur son terrain, au bord de l’eau.
Comprendre… les centres d’art
Disséminés sur dix-huit régions, soit trente-sept départements, les centres d’art se caractérisent non par leur taille mais leur mission. Ils exposent l’art contemporain mais ne le collectionnent pas. Cependant, à l’instar d’institutions telles que les Fonds régionaux d’art contemporain, ils remplissent des missions de médiation auprès des publics, une fonction devenue primordiale. Certains diront qu’elle a même tendance à prendre le pas sur la programmation en influençant des thématiques plus lisibles et grand public. Il est d’ailleurs symptomatique de voir fleurir à l’été des sujets plus rassembleurs qu’à l’habitude, politique de la fréquentation oblige.
C’est aussi à cela que sert cette opération. En fédérant les centres d’art via l’association d.c.a., même les plus petites structures bénéficient d’un label et d’une couverture médiatique, participent au catalogue qui rassemble l’intégralité des événements et des expositions. Une sorte d’assurance-vie aussi auprès des collectivités territoriales qui pourraient être tentées de faire des économies sur le dos de l’art contemporain.
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« Plein Soleil »
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Informations pratiques. Plein soleil/L’été des centres d’art, jusqu’au 30 septembre 2009, 43 centres d’art dans toute la France présentent plus de 100 expositions. www.dca-art.com
Tout le programme sur Internet. Le site communautaire d’informations touristiques Flowersway est partenaire de la deuxième édition de Plein Soleil. L’ensemble des renseignements, la présentation des centres d’art, des cartes
et visuels sont disponibles en ligne. Vingt-six circuits thématiques sont également proposés aux visiteurs : séjours culturels afin d’explorer l’art contemporain dans l’espace publique, des découvertes gastronomiques et historiques s’ajoutent au programme des plus curieux. Toutes les informations sur : www.flowersway.com/pleinsoleil2009
En France
Les centres d’art participant à l’opération Plein Soleil sont situés dans les villes suivantes :
Aix-en-Provence
Albi
Altkirch
Annemasse
Bignan
Brest
Brétigny-sur-Orge
Cajarc
Castres
Chamarande
Château-Gontier
Chatou
Delme
Digne-les-Bains
Gennevilliers
Grenoble
Hérouville-Saint-Clair
Hyères
Ibos
Ivry-sur-Seine
Meymac
Montbélliard
Mouans-Sartoux
Nice
Noisy-le-Sec
Paris
Poitiers
Pontault-Combault
Pougues-les-Eaux
Quimper
Quaincy
Rennes
Roubaix
Saint-Nazaire
Saint-Yrieix-la-Perche
Sète
Tanlay
Thiers
Toulouse
Tours
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Vassivière
Villeurbanne
Cet article a été publié dans L'ŒIL n°615 du 1 juillet 2009, avec le titre suivant : « Plein Soleil »