Une reconstitution de la « Galerie de peintures » de La Malmaison et la publication par Alain Pougetoux de La Collection de peintures de l’impératrice Joséphine nous rappellent la diversité d’un goût qui faisait la part belle à la peinture contemporaine, dite « troubadour »
Joséphine de Beauharnais, aimait non seulement les meubles et les beaux intérieurs, les fleurs et les jardins, les parures et les bijoux, mais était aussi une collectionneuse de peinture avertie. Coquette et dépensière sans doute, mais en tout discernement comme nous le rappelle Bernard Chevallier dans sa Douce et Incomparable Joséphine qui met bien en valeur le goût pour la peinture et le rôle de mécène de la souveraine. Un goût probablement développé au contact des chefs-d’œuvre du Louvre (alors « Muséum central des Arts ») transportés par ordre de Bonaparte dans l’appartement du couple consulaire au palais des Tuileries. La Sainte Cécile du Dominiquin ; La Belle Ferronnière de
Léonard de Vinci ; la Vénus du Corrège, Érasme et Sir Henry Wyatt d’Holbein y tenaient compagnie à La Joconde et à La Vierge à la Chaise de Raphaël, confisquée au grand duc de Toscane. Joséphine restera toute sa vie fidèle à la « grande peinture » et balancera à parts égales entre ce que l’on appelait alors les écoles du Nord, Flandre, Hollande et les écoles italiennes.
L’aménagement de La Malmaison, achetée en 1799 et aménagée par Percier et Fontaine de 1800 à 1802, est l’occasion de construire une galerie, créée par les architectes sur trois pièces existantes : « Nous espérons que nous pourrons, au moyen de glaces placées aux extrémités, faire paraître plus grand le court espace qui nous est donné. Nous avons chargé le citoyen Jacob ébéniste de la menuiserie de cette pièce », note Fontaine dans son Journal le 3 mars 1800. À l’extrémité de cette « petite galerie », derrière une porte de glaces, Berthault construit en 1807 une vaste salle à éclairage zénithal, comme dans un musée, « pour y exposer tous les objets d’art que S. M. l’Impératrice possède et parmi lesquels on cite une belle collection de vases étrusques, d’armures grecques trouvées à Pompéïa et beaucoup de tableaux des plus grands maîtres », nous apprend le Journal de Paris du 4 novembre 1807. La gazette omet de nous préciser qu’une des raisons de cet aménagement est l’arrivée inopinée à Malmaison d’un ensemble important de chefs-d’œuvre saisis par les armées françaises à Cassel et envoyés directement à l’impératrice de la propre initiative du général Lagrange. Arrivé dans la capitale de la Hesse dans les fourgons de l’armée, Vivant Denon, directeur du musée Napoléon, ne put que constater leur absence. Cette saisie, qui soustrayait une partie du « butin de guerre » aux collections nationales, est à l’origine d’une légende sur l’origine des tableaux de Joséphine. Comme en témoigne la malveillante et souvent inexacte marquise de la Tour du Pin dans son Journal d’une femme de cinquante ans : « Madame Bonaparte me reçut à merveille et, après le déjeuner, qui eut lieu dans une délicieuse salle à manger, elle me fit visiter sa galerie. Nous étions seules. Elle en profita pour me faire des contes à dormir debout sur l’origine des chefs-d’œuvre et des admirables petits tableaux de chevalet que la galerie contenait.
Ce beau tableau de l’Albane, le pape l’avait contrainte à l’accepter. La Danseuse et L’Hébé, elle les tenait de Canova. La Ville de Milan lui avait offert ceci et cela. […] J’aurais estimé davantage Mme Bonaparte si elle m’eût simplement dit que tous ces chefs-d’œuvre avaient été conquis à la pointe de l’épée. La bonne femme était essentiellement menteuse. »
Le goût du Moyen Âge
Une aquarelle d’Auguste Garneray (1812) nous montre que Joséphine réservait la petite galerie à la musique et à sa collection de tableaux « modernes », tableaux qu’elle achetait (une dizaine en moyenne) en bonne et due forme aux artistes lors des Salons de peinture tous les deux ans. Elle est la première souveraine à agir ainsi et sera imitée par la suite aussi bien par la duchesse de Berry que par Louis-Philippe et ses fils. Parmi ces œuvres, beaucoup de tableaux de fleurs, notamment de Pierre Joseph Redouté ou de l’Anversois Van Dael, mais aussi des paysages, des scènes de genre et enfin des scènes historiques de petit format, exaltant les hauts faits des preux du Moyen Âge et des hérauts de la Renaissance. Cette peinture, que nous appelons aujourd’hui troubadour, était alimentée par les décors des opéras de l’époque et par l’existence éphémère du « Musée des monuments français » où Alexandre Lenoir, conservateur des collections de Joséphine, avait sauvé de nombreux vestiges religieux ou monarchiques de l’iconoclasme révolutionnaire.
La vogue de ces tableaux date du Salon de 1802 où le Lyonnais Fleury Richard expose sa Valentine de Milan pleurant la mort de son époux. En 1812, nous en comptons cinquante. Nous sommes loin des « exemples de vertu » tirés de l’histoire romaine. David lui-même est étonné : « Ce n’est pas de la peinture comme tout le monde fait ! Ça ne ressemble à personne, c’est aussi nouveau d’effet que de couleur ; la figure est charmante et pleine d’expression, et ce rideau vert jeté devant cette fenêtre, fait une illusion complète. Voilà, mon cher, ce qu’il faut terminer, voilà le genre dans lequel vous devez réussir. »
Loin de la « peinture d’histoire » comme genre académique, aux antipodes des grands événements de la geste napoléonienne, nous avons ici affaire à l’histoire intimiste, sentimentale, où un psychologisme simple et démonstratif nous permet de participer aux émois d’Héloïse, contrainte par une nonne aux lèvres peintes, de reposer d’un geste élégant le « combiné téléphonique » qui la relie à Abélard (Jean Antoine Laurent) ou au stoïcisme de Jacques de Molay, en route pour le bucher (Fleury Richard). Simplisme renforcé par une technique lisse, un « faire porcelainé » qui rend à merveille les transparences du cristal, les reflets de la soie et du velours, l’intimité des intérieurs.
Il faut se précipiter à Malmaison pour contempler la petite galerie dans sa splendeur retrouvée, le reste de la collection « moderne » étant présenté à l’étage. Mais il faut surtout parcourir le catalogue d’Alain Pougetoux qui nous apprend que Joséphine – un souvenir de l’ancienne cour ? – était aussi sensible à des peintres qualifiés alors, en mauvaise part, de « Pompadour, Rococo » comme Carle Van Loo auteur d’un Pacha faisant peindre sa maîtresse, et que la peinture espagnole, comme chez quelques collectionneurs contemporains, commençait à prendre de l’importance : un très beau Saint
Sébastien de Ribeira. Chaque notice du catalogue retrace toute l’histoire européenne du XIXe siècle, histoire politique mais aussi histoire du goût et des collections comme celle de ces deux tableaux sur porcelaine, toujours d’après Van Loo, hérités par la reine Hortense, acquis par un certain George
Watson-Taylor puis intégrés à des meubles en marqueterie par James de Rothschild au château de Ferrières. Elles sont aujourd’hui propriété du Louvre et retrouveront peut-être Malmaison.
« L’impératrice et ses peintres » se déroule du 19 novembre au 1er mars 2004, tous les jours sauf le mardi de 10 h à 12 h 30 et de 13 h 30 à 17 h 30 ; le week-end de 10 h à 17 h 45. Tarifs : 4,5 et 3 euros. RUEIL-MALMAISON (92), musée du château de Malmaison, av. du Château, tél. 01 41 29 05 55, www.château-malmaison.fr
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Le goût de Joséphine
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Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans L'ŒIL n°554 du 1 janvier 2004, avec le titre suivant : Le goût de Joséphine