L’affaire est entendue : la France a décroché de son rang de super puissance. Depuis plus d’un demi-siècle, Paris n’est plus la capitale mondiale de l’art qu’elle fut sans partage durant plus de deux cents ans, détrônée après-guerre par sa rivale New York. Ses artistes n’auraient pas pu, ou pas su, résister à la pression des grands peintres américains emmenés, tambour battant, derrière Pollock par une série d’expositions itinérantes organisées par l’International Council du MoMA. Parmi celles-ci, « Jackson Pollock et la nouvelle peinture américaine », au Musée d’art moderne en 1959 à Paris, faisait figure de cheval de Troie. Le coup de grâce aurait été porté par Robert Rauschenberg et l’École de Paris ; le premier pour avoir remporté le grand prix de la Biennale de Venise en 1964, la seconde pour l’avoir perdu la même année… Dans cette période marquée par un certain anti-américanisme, les critiques d’art français hurlèrent au « complot », voyant dans l’attribution de ce prix une « insulte », ce qui devait laisser des traces profondes et durables en France face à une École de New York qui entendait désormais imposer ses valeurs. Ce que Philippe Piguet appelle, dans ce numéro, « le syndrome de Venise 64 ». Depuis lors, il est admis que l’épicentre de l’art s’est déplacé ailleurs, les artistes en France faisant au mieux figure d’histrions locaux, au pire de suiveurs… De fait, les États-Unis ont ouvert des voies originales, à commencer par l’Expressionnisme abstrait de Pollock, De Kooning et Rothko, et produit des chefs-d’œuvre de grands artistes (Nauman, LeWitt, Warhol, Basquiat, etc.). Ils ont été suivis par l’Allemagne et l’Angleterre qui ont, à leur tour, ouvert de nouvelles voies… Pour autant, le cœur de l’avant-garde ne s’est pas arrêté, en France, de battre. Loin de n’être que le reflet pâle et désincarné de leurs homologues américains ou allemands, des artistes y ont continué de produire, d’inventer, de rompre avec l’ordre établi, parfois de manière violente et radicale.
C’est cette aventure que L’Œil a choisi, à l’occasion de son 700e numéro, de vous relater ce mois-ci. Elle prend la forme, pour reprendre une expression polémique, d’un « roman national » racontant – et défendant – une histoire de l’art contemporain en France, de 1955 (date du premier Combine Painting de Rauschenberg, de l’exposition « Le Mouvement » à Paris et date de création du magazine L’Œil) à 2017. Le récit follement passionnant qui en découle met en lumière l’esprit des révolutions à l’œuvre dans l’art en France entre 1955 et 2017. Pour élargir son champ de vision, L’Œil a parallèlement invité des critiques d’art à élire l’artiste, l’œuvre ou l’exposition qui, dans ce laps de temps, incarne le mieux cet « esprit ». Selon les générations et les sensibilités, les réponses sont plurielles (Philippe Dagen parle de l’éclosion d’une génération d’artistes dans un environnement peu propice), provocantes (« Le monde de l’art français […] est snob, honteux, pusillanime, oublieux surtout », écrit Olivier Céna) ou simplement lucides (« Il n’y a plus d’avant-garde », analyse Catherine Millet). Ces réponses sont en tout cas toujours personnelles et, pour cela, militantes : « En France aussi, nous avons quelques artistes incontournables », défend ainsi Raphaël Cuir. Et c’est finalement bien dans l’esprit de ce 700e numéro de L’Œil : prendre le contre-pied du déclinisme français pour défendre une période et des artistes dont l’histoire, comme le futur, reste à écrire.
L’accès à la totalité de l’article est réservé à nos abonné(e)s
L'Œil fait son numéro
Déjà abonné(e) ?
Se connecterPas encore abonné(e) ?
Avec notre offre sans engagement,
• Accédez à tous les contenus du site
• Soutenez une rédaction indépendante
• Recevez la newsletter quotidienne
Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans L'ŒIL n°700 du 1 avril 2017, avec le titre suivant : L'Oeil fait son numéro