Roman graphique

Mémoire dessinée

Par James Benoit · L'ŒIL

Le 17 mars 2017 - 390 mots

Est-ce une évolution normative de notre société sous l'emprise des images et de la communication visuelle”‰? Le roman graphique, le récit illustré et, plus généralement, toutes les formes de narration jointe à l’image, suscitent ces dernières années un vif intérêt de la part des éditeurs et du grand public.

Notre histoire, véritable phénomène littéraire en Chine, est un récit dessiné qui prend sa place artistique au point d’équilibre dynamique entre le texte et l’image. L’histoire en question est celle de l’amour de Rao Pingru et de sa femme Mao Meitang, décédée en 2008 ; c’est aussi celle, la Grande, d’une nation, la Chine, que dessine tout un siècle d’intenses mutations. Sur les 360 pages du récit, et tout autant de degrés d’un tour d’horizon sur une vie entière, les aquarelles peintes de la main de l’auteur et les calligraphies sont omniprésentes. Elles prennent autant de place que le texte lui-même à tel point qu’une lecture attentive ne sait déterminer lequel accompagne l’autre, qui illustre quoi. On s’intéresse ici presque au fonctionnement figuratif de la mémoire humaine dans ce qu’elle a d’évocatrice, quand elle fait surgir à la conscience des moments de vie passés, parfois dans une silhouette distillée en image, parfois sous la forme du chant des mots qui dépeignent les contextes et les situations. Régal pour l’œil, délice de l’oreille, le pouvoir narratif des images dessinées en est décuplé, la suggestion visuelle du texte s’en trouve renforcée et l’un augmente l’autre. Parfois le texte semble même se muer en dessin et le dessin en texte. Certaines pages entièrement dessinées sont couvertes d’idéogrammes tracés à la main qui dépeignent autant qu’ils expliquent des scènes de la vie courante. Parfois, des incursions de strips de BD avec bulles de dialogues font écho au récit comme des petites saynètes filmiques qui restituent la vitalité d’un instant vécu. À la manière d’un clip, la musique et les images forment un tout. Le pouvoir d’immersion est immense. C’est alors, à chaque page, une impression de sincérité et d’harmonie qui se dégage de l’ensemble. Les traits tracés d’une main de vieillard juvénile et la sobriété d’expression de Rao Pingru, sans détour et presque sans tournure, concourent à nous faire vivre, dans une maîtrise absolue de la simplicité du propos et de son médium et à travers son histoire d’amour toute personnelle, un grand roman universel.

Rao Pingru, Notre histoire. Pingru et Meitang, traduit du chinois par François Dubois, roman illustré, Seuil, 360 p., 23 €.

Cet article a été publié dans L'ŒIL n°700 du 1 avril 2017, avec le titre suivant : Mémoire dessinée

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