Le rapport distancié à la culture et à l’art de François Hollande met à jour la personnalité du chef de l’État sortant et ses priorités. À aucun moment il n’a montré un grand intérêt à ces deux domaines, ni n’a voulu endosser l’habit de bâtisseur de François Mitterrand. Excepté durant les derniers mois de son quinquennat.
«C’est très difficile la culture. Je trouve que c’est un milieu très dur, très exigeant, très ingrat », estime François Hollande dans Un président ne devrait pas dire ça, de Gérard Davet et Fabrice Lhomme [Stock, 2016]. Et le président de la République, à l’aune du bilan de son quinquennat, de déclarer quelques pages plus loin : « Quand on est ministre de la Culture, c’est comme quand on est ministre des Sports, il faut dire aux sportifs qu’on les aime. » La vision du portefeuille, d’un milieu et de leurs relations apparaît bien acerbe, pour ne pas dire bien courte. Elle amplifie surtout l’absence dans cet ouvrage de réflexions du chef de l’État sur son propre positionnement vis-à-vis de ce milieu durant ces cinq années passées à l’Élysée, en particulier vis-à-vis des enjeux, des attentes et des déceptions. Excepté les appréciations versées au compte de ses trois ministres de la Culture et de la Communication successifs, il ne l’aborde à aucun moment ni ne mentionne de regrets ou de rencontres marquantes en ce domaine, pas plus qu’il n’émet une analyse de la politique culturelle en général. Vient alors la sentence de l’ancien conseiller du président Aquilino Morelle : « François Hollande ne voulait pas exercer le pouvoir ; il voulait seulement être président de la République » [L’Abdication, Grasset, 2017].
Une relation technique avec la culture
Il est vrai que durant la campagne de la primaire socialiste de 2011, le candidat Hollande a fait a minima sur le sujet culture, y compris pendant la campagne présidentielle. Il suffit de revenir au programme, aux discours ou entretiens pour se le remémorer. Cinq ans après, son équipe de campagne est d’ailleurs bien en peine de dire quels sont ses goûts personnels en dehors du cinéma, et encore moins de relever dans le domaine des arts les noms de celles ou de ceux qui appartiendraient à sa famille élective ou du moins intellectuelle. « Je ne vois aucun artiste ou directeur d’institution dont François Hollande a été proche avant ou après son élection », note rétrospectivement Aurélie Filippetti. « Les artistes et les musées ne forment pas un monde qui lui est familier ou avec lequel il se sent à l’aise, contrairement au cinéma qu’il connaît très bien », souligne l’ancienne ministre de la Culture et responsable du pôle culture, audiovisuel et médias pendant la campagne de 2012.
Lors du meeting du Bourget du 22 janvier, marqueur du lancement de la campagne, le parterre de personnalités en témoigne. Deux mois plus tard, les artistes réunis au cirque d’Hiver autour du candidat socialiste pour son grand discours sur la culture et la création ne connaissent pas davantage de figures célèbres des arts plastiques. Aux côtés de Stéphane Hessel, Tahar Ben Jelloun, Dan Franck ou de Mazarine Pingeot, on dénombre en revanche Jeanne Moreau, Abdellatif Kechiche, Jacques Weber, Daniel Mesguich, Dominique Blanc, Josiane Balasko… Son discours contre la politique culturelle de Nicolas Sarkozy, « pas à son avantage par rapport à ses prédécesseurs de droite » et surtout son ambition de reprendre « la grande aventure culturelle de la France » résonnent d’accents mitterrandiens. En coulisse, les dossiers qui l’intéressent toutefois se résument à la situation et aux enjeux des industries culturelles, en particulier la révision de la loi Hadopi et la refonte de la lutte contre le téléchargement illégal adoptée en 2009 sous la présidence de Nicolas Sarkozy.
Les dîners organisés par Jean-Michel Ribes pendant et après la campagne présidentielle révèlent, quant à eux, un François Hollande grand connaisseur du cinéma français ou américain. L’auteur dramatique, metteur en scène et cinéaste est le grand ordonnateur des rencontres avec les personnalités du cinéma ou du théâtre comme Catherine Deneuve, Denis Podalydès ou Guillaume Gallienne. Le directeur du théâtre du Rond-Point forme l’ossature du réseau culture du chef de l’État avec Bernard Murat, patron du théâtre Edouard VII, et Pierre Lescure, directeur artistique du théâtre Marigny depuis sa nomination en 2008 par François Pinault, propriétaire des lieux. Chacun restera d’ailleurs proche du président après l’installation de François Hollande au palais de l’Élysée. Jean-Michel Ribes est ainsi à ses côtés lors de sa visite au festival d’Avignon en 2011 et en 2012. C’est lui également que l’on retrouve parmi les premiers signataires de la pétition demandant la fin du Hollande bashing en 2016 où, là encore, aucun nom d’artiste ne figure à l’exception d’Agnès B, Françoise Huguier ou Raymond Depardon (auteur du portrait officiel de François Hollande).
Les « hommes » du président
Rapidement, le monde de l’art a compris que le rapport qu’entretiendrait le nouveau chef de l’État avec lui n’irait pas de soi. Revenir sur le profil et le parcours des conseillers que François Hollande a choisis après son installation au Château dresse une cartographie qui tranche à cet égard avec celles qui ont précédé par la dominante du secteur du 7e art. La filière du Centre national du cinéma (CNC) et les amitiés tissées à l’Ena avec certains de ses camarades de la promotion Voltaire de 1980 dominent. À commencer par Sylvie Hubac, sa directrice de cabinet qui, avant de le rejoindre, a présidé la Commission de classification des œuvres cinématographiques. David Kessler, le conseiller Culture et Communication du chef de l’État de mai 2012 à juin 2014, a pour sa part passé trois ans à la direction générale du CNC après avoir été le conseiller culture de Lionel Jospin. Son départ de l’Élysée le verra prendre la direction d’Orange Studio, filiale cinéma de l’opérateur téléphonique. Le parcours d’Audrey Azoulay qui lui succède au poste de conseillère Culture et de Communication auprès de François Hollande s’est enraciné également très tôt au sein du CNC. Enfin, Frédérique Bredin, autre camarade de la promotion Voltaire du président, devient en juin 2013 la nouvelle présidente du CNC. Julie Gayet constitue de son côté un autre contact privilégié avec le milieu du cinéma.
Le tropisme pour l’art contemporain de Georges Pompidou ou pour l’architecture de François Mitterrand appartient à une autre époque, à une autre génération d’hommes politiques. Comme Nicolas Sarkozy, François Hollande n’est pas le fin lettré ni l’écrivain qu’ont été le général de Gaulle, Georges Pompidou ou François Mitterrand. Le changement de profil, d’accointances et de priorités a été marquant avec Nicolas Sarkozy. Il se poursuit avec François Hollande, mais dans une tonalité différente à l’image de la personnalité et du parcours de l’homme. À la différence de son
prédécesseur à l’Élysée, François Hollande connaît les grandes figures de l’industrie culturelle liées au cinéma, au théâtre ou à l’édition. Leurs rôles dans les différents champs sociaux économiques ou réseaux d’influence l’intéressent bien plus que les considérations intellectuelles ou esthétiques d’un écrivain ou d’un artiste.
Pendant la campagne de 2012, Aurélie Filippetti a mesuré à cet égard l’influence de Pierre Bergé et Jérôme Clément. Celle de Marc Ladreit de Lacharrière auprès de François Hollande l’est tout autant. Le fortuné président de la holding Fimalac que l’on retrouve dans la finance, l’hôtellerie, les loisirs, les spectacles et l’immobilier, comme grand mécène du Louvre et aussi président du conseil d’administration de l’agence France-Muséums en charge de la mise en œuvre du Louvre Abu Dhabi, est un proche autant de François Fillon, de Rachida Dati que du président de la République qu’il apprécie. Et inversement.
La culture, un combat socialiste d’arrière-garde
Marc Ladreit de Lacharrière et Jean-Michel Ribes se connaissent par ailleurs fort bien, leur amitié remonte à l’époque où l’homme d’affaires donnait des cours privés de mathématiques au metteur en scène. Quoi qu’il en soit, François Hollande ne manque jamais de prendre pour exemple la Fondation culture & diversité de Marc Ladreit de Lacharrière lorsque le sujet de l’éducation artistique et de la démocratisation culturelle est abordé. Reste que l’éducation artistique et culturelle à l’école, grand axe de la campagne de 2012 porté par Aurélie Filippetti, y compris durant ses deux années passées à la tête du ministère de la Culture (16 mai 2012-25 août 2014), obtiendra bien peu de moyens et de soutiens concrets de la part du président et de son Premier ministre de l’époque Jean-Marc Ayrault.
Le peu de soutien du chef de l’État envers sa ministre, marqué par la baisse du budget de la Culture, a cependant entériné ce que l’on avait déjà relevé durant le gouvernement de Lionel Jospin au temps de la cohabitation : à savoir que la culture n’est plus désormais pour la gauche socialiste un enjeu de politique de premier plan. Certes la baisse du taux de la TVA du livre à 5,5 % et le combat d’Aurélie Filippetti pour faire admettre à la Commission européenne l’exclusion des industries créatives des négociations en vue de l’accord de libre-échange entre les États-Unis et l’Europe sont à mettre à l’actif du quinquennat de François Hollande, comme le seront durant le gouvernement Manuel Valls les nouvelles règles d’indemnisation signées le 28 avril 2016 entre l’Unedic et les intermittents du spectacle.
Les quatre-vingts propositions énoncées en mai 2013 dans le rapport de Pierre Lescure visant essentiellement à préserver les droits d’auteur à l’ère du numérique et à supprimer Hadopi ont néanmoins rapidement été enterrées par l’Élysée et Matignon. De la même manière, l’examen devant le Parlement des deux projets de loi distincts sur le Patrimoine et sur la Création, qu’on lui demande au final de fondre en un seul, a été sans cesse repoussé. Fleur Pellerin qui lui succède rue de Valois le reprendra et défendra sa nouvelle mouture devant les parlementaires avant elle-même d’être remplacée en cours de cession par Audrey Azoulay, la troisième et dernière ministre de la Culture de François Hollande. Il faut attendre le 7 juillet 2016 pour que la loi relative à la liberté de la création, à l’architecture et au Patrimoine, considérablement amaigrie, soit enfin promulguée.
La sauvegarde des patrimoines en péril
À la différence de Nicolas Sarkozy, qui peu de temps après son élection a lancé son projet du Grand Paris, et surtout des autres présidents qui l’ont précédé, François Hollande, durant plus de la première moitié de son mandat, ne s’est inscrit dans aucun projet d’envergure. Seule la préservation du patrimoine mondial menacé par les conflits armés l’a engagé personnellement. C’est de fait un des rares sujets dont il se soit emparé en septembre 2012 lors de l’inauguration du département des arts de l’Islam le 18 septembre 2012, mais surtout à partir de juin 2015, date de la commande du président d’un rapport sur cette question à Jean-Luc Martinez, président-directeur général du Louvre.
L’intérêt apparaît certes un peu tardif, compte tenu des différentes destructions déjà perpétrées en Syrie, en Afghanistan ou au Mali. Mais il s’agit, pour le chef de l’État, de se positionner dans ce dossier géopolitico-militaire et diplomatique en chef de file vis-à-vis de ses homologues occidentaux.
Son voyage à Tombouctou puis son discours au Louvre sur les destructions commises par Daech en mars 2015 s’inscrivent dans ce sens. Il en va de même pour les mesures qu’il prend contre le trafic d’œuvres d’art pour financer des opérations terroristes ou pour la mission confiée à Jack Lang, président de l’Institut du monde arabe (IMA), d’organiser une conférence internationale sur le patrimoine en danger, qui se tiendra en décembre 2016 à Abou Dhabi. De la même façon, l’inauguration en 2014 de la Cité nationale de l’histoire de l’immigration à Paris, sept ans après son ouverture au public, a été l’occasion pour François Hollande de prononcer son premier grand discours sur l’immigration.
Un rééquilibrage tardif
Les visites répétées à l’Institut du monde arabe, si elles sont à relier aux rapports entretenus par le chef de l’État avec Jack Lang et à la personnalité de ce dernier, sont aussi le cadre de discours amplement relayés comme le sera celui après les attentats de janvier 2015. Comparer le nombre de visites de François Hollande à l’Ima à celles effectuées au Centre Pompidou à partir de 2016 pour Gérard Fromanger ou pour la dernière exposition du Prix Marcel Duchamp en 2017 (une première dans l’histoire de ce prix) illustre bien les priorités du chef de l’État. L’arrivée d’Audrey Azoulay en janvier 2016 rue de Valois a en effet multiplié le nombre de visites officielles en ce domaine plus qu’au compte-gouttes auparavant.
Des expositions « Carambolages », Seydou Keïta, Huang Yong Ping, à Art Paris Art Fair et la Fiac, on dénombre ainsi pas moins de six déplacements officiels de François Hollande au Grand Palais en 2016, contre à peine un les années précédentes, voire aucun en 2013. Les visites privées à des artistes se sont inscrites à leur tour davantage à l’agenda personnel du Président. Les noms de Gérard Garouste, Ernest Pignon-Ernest ou JR y figurent. lI y a du rattrapage dans l’air. Constance Rivière, sa conseillère culture à l’Élysée, corrige : « Il s’y autorise. »
Le réaménagement complet de l’île de la Cité d’ici à 2040, confié par François Hollande à l’architecte Dominique Perrault et à Philippe Bélaval, président du Centre des monuments nationaux, quoi qu’il en soit, apparaît lui aussi bien tardif. Son successeur au palais de l’Élysée concrétisera-t-il ce projet ? Ceux qu’il a inaugurés en personne ont émaillé son mandat, du Louvre Lens à la Philharmonie en passant par le Musée Soulages, la Fondation Louis Vuitton et la réouverture du Musée Picasso. Si François Hollande n’a pas eu l’âme d’un bâtisseur, les nominations ou reconductions à la tête des grands établissements (de Jean-Luc Martinez au Louvre, Sophie Makariou au Musée Guimet à Serge Lasvignes au Centre Pompidou, Sylvie Hubac à la RMN-Grand Palais et bientôt le Musée d’Orsay) ont toutefois été des choix déterminants. Ce sont eux qui, d’une certaine manière, ont incarné la politique culturelle et artistique du chef de l’État.
1954 - Naissance à Rouen
1988 - Devient député de Corrèze
1997-2008 - Premier secrétaire du Parti socialiste
2001-2008 - Maire de Tulle (Corrèze)
2008-2012 - Préside le conseil général de la Corrèze
2012 - Élu président de la République
2017 - Ne se présente pas à un second mandat présidentiel
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Hollande à l’épreuve de la création
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Cet article a été publié dans L'ŒIL n°700 du 1 avril 2017, avec le titre suivant : Hollande à l’épreuve de la création