Art contemporain

Chaque mois, Élisabeth Couturier présente un objet cher à un artiste. Ce mois-ci...

Le cintre africain de Rebecca Digne

Par Élisabeth Couturier · L'ŒIL

Le 15 mars 2017 - 692 mots

FETICHE - Rebecca Digne aime les situations qui gardent une part de mystère. Elle cultive volontiers l’entre-deux.

Dans ses courts films, situés à la lisière de l’art vidéo et de la performance plastique, elle cherche à capter cet espace incertain, mouvant, ouvert à de nombreuses interprétations. L’objet qui la suit de déménagement en déménagement, et qui se trouve aujourd’hui accroché au mur de son atelier, à Paris, est un cintre africain acheté à Dakar et que son père lui a offert : « J’aime le regarder car on ne devine pas tout de suite de quoi il s’agit. D’abord, il ne ressemble pas à l’idée que l’on se fait d’un cintre : on pourrait penser qu’il s’agit d’une peinture découpée représentant le portrait naïf et détouré d’une jeune femme. Là-bas, ajoute-t-elle, il sert à présenter des vêtements à l’extérieur des échoppes. »

L’intérêt de Rebecca Digne pour cet objet à la fois pratique et publicitaire ne s’arrête pas là : « Le fait qu’il représente une femme noire ayant les traits d’une Blanche me trouble et pose des questions d’identité : on cherche à donner envie aux clientes d’acheter une robe ou un chemisier en lui proposant de se projeter dans l’archétype de la beauté idéale occidentale. En fait, ce cintre reflète des contradictions, sans crier gare, c’est pourquoi il me fascine. » De même, derrière des situations simples ou des gestes immémoriaux mis en scène avec une précision méticuleuse, percevons-nous chez Rebecca Digne un goût pour le double langage. Ayant grandi en Italie, avant de s’installer en France puis de repartir étudier quelques années aux Pays-Bas, cette globe-trotter reste plus qu’attentive aux questions des influences culturelles, de la superposition des références ou de l’ambiguïté du sens : « Quand on se rend dans un pays, on est obligé de s’adapter, de redéfinir ses contours, d’adopter les valeurs des autres. Pour moi, chaque projet est la conquête d’un nouveau territoire. Quand il y a un problème, je réinvente mon sujet. »

Entre 17 et 19 ans, Rebecca Digne a vécu une étonnante expérience en vivant dans un cirque : « J’y ai appris qu’il fallait être d’une extrême exigence pour mettre en forme un exercice périlleux, mais qu’il fallait aussi savoir s’adapter face aux difficultés qui pouvaient surgir à tout moment lors d’une représentation. » Ses films, photographies ou installations invitent le regardeur à suivre différentes pistes de compréhension. Par exemple, un matelas usé, plié en deux, des mains qui en sortent de chaque côté pour effectuer un étrange ballet : s’agit-il d’une libre évocation de la précarité et d’une conquête métaphorique de territoire ? Ou encore, une mince table de fer, une pierre de lave posée dessus et la pluie qui tombe sans discontinuer frappant le métal de plus en plus fort : est-ce la figuration en son et en image d’une planète en perdition ou la synthèse du dérèglement climatique ?

Pour revenir au cintre qui fait face à sa table de travail, Rebecca Digne ajoute : « Cet objet me renvoie au lien que j’ai avec mon père et aux belles valeurs qu’il m’a transmises. Il a énormément voyagé, et quand j’étais petite il m’a souvent emmenée en Afrique, notamment au Togo et au Zaïre. Il se sent partout très à l’aise et il a une grande capacité à entrer immédiatement en contact avec les autres. » Elle, au contraire, préfère prendre des chemins de traverse pour toucher les visiteurs de ses expositions. Et, à l’image de son cintre fétiche, les entraîner dans des zones complexes où la communication se passe de mots.

« Talents Contemporains »
Du 29 avril au 13 août 2017. Fondation François Schneider, 27, rue de la Première Armée, Wattwiller (68). Ouvert de 10 h à 18 h. Tarifs : 7 et 5 €. Fermé le lundi et le mardi. Commissaire : Auguste Vonville.
www.fondationfrancoisschneider.org

« L’Éternité par les astres »
Du 22 avril au 13 septembre 2017. Les Tanneries, Centre d’art contemporain, 234, rue des Ponts, Amilly (45). Ouvert du mercredi au dimanche de 14 h 30 à 18 h. Entrée libre. Commissaire : Léa Bismuth.
www.lestanneries.fr

« Crystal Palace »
Jusqu’au 8 avril 2017. Galerie Escougnou-Cetraro, 7, rue Saint-Claude, Paris 3e. Ouvert du mardi au samedi de 14 h à 19 h et sur rendez-vous.
www.escougnou-cetraro.fr

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Cet article a été publié dans L'ŒIL n°700 du 1 avril 2017, avec le titre suivant : Le cintre africain de Rebecca Digne

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