Devant une peinture, ancienne ou contemporaine, essayez-vous toujours de comprendre la cuisine du peintre ?
Adolescent, la première fois que j’ai véritablement regardé un tableau dans un musée, j’ai vu un « objet » se modéliser devant mes yeux, que je comprenais comme une maquette d’architecte en trois dimensions. J’étais comme un jeune homme qui découvrirait un moteur de voiture et qui comprendrait instantanément son fonctionnement : je rentrais directement dans la peinture. C’est ce qui m’a poussé à devenir peintre. Quel que soit le tableau que je regarde, peu importe son époque, j’observe comment le peintre a procédé, le protocole suivi, les erreurs commises, volontairement ou non, etc.
Les protocoles des peintres sont-ils vraiment si différents ?
Il y a des grandes lignes, mais chaque artiste, bon ou mauvais, développe son propre protocole, qui, souvent, fait la différence. Chaque peintre invente quelque chose, y compris dans ses erreurs dont il tire finalement toujours quelque chose. La peinture à l’huile, par exemple : tout le monde l’utilise de manière différente et, la plupart du temps, pas comme il faudrait l’utiliser. Pour des logiques économiques, d’histoire et de personnalité, je n’utilise pas l’huile aujourd’hui comme un peintre pouvait l’utiliser à la Renaissance.
Y a-t-il de bonnes et de mauvaises manières de peindre à l’huile ?
Bien sûr. La plupart des peintres diluent l’huile avec de la térébenthine : c’est une erreur fondamentale ! Outre que la térébenthine est terriblement nocive pour le corps, elle assèche complètement la peinture. Elle l’empêche de garder son homogénéité dans le temps. Avec de la peinture à l’huile, il faut peindre avec de l’huile de lin, comme je le fais, qui crée le liant qui permet à la couche picturale de durer dans le temps. Pourquoi les gens utilisent-ils la térébenthine ? Parce que cela sent bon et parce que cela sèche vite, ce qui est d’ailleurs absurde : l’intérêt de la peinture à l’huile est justement de sécher lentement, afin de pouvoir faire sa palette sur la toile. En employant la térébenthine, on transforme d’une certaine manière l’huile en acrylique. Maintenant, ce n’est pas parce que l’on peint à la térébenthine que l’on peint des mauvais tableaux. Cela n’a rien à voir.
Avez-vous des exigences particulières en matière de matériaux ?
Les exigences vont envers la toile. Je n’aime pas les toiles qui se détendent en fonction des variations hygrométriques. C’est pour cela que j’ai opté pour une toile synthétique qui, à la différence de la toile en lin ou en coton, ne subit pas les changements de température. Par ailleurs, j’adore la toile synthétique parce qu’elle n’a pratiquement pas d’aspérité : c’est une « patinoire ». Et j’aime peindre sur une patinoire, car cela me permet de magnifier l’huile et ses possibilités de mélanges : je fais 90 % de mes mélanges sur la toile, qui doit donc être lisse.
Il y a une sensualité du matériau…
Absolument. Je n’aime pas l’acrylique, je suis véritablement tombé amoureux de l’huile. Comme disait Picasso : le sexe et l’art, c’est la même chose. Les peintres ont un rapport érotique à la peinture. Et en particulier à la peinture à l’huile.
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Stéphane Pencréac’h : « Les peintres ont un rapport érotique à la peinture »
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Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans L'ŒIL n°698 du 1 février 2017, avec le titre suivant : Stéphane Pencréac’h : « Les peintres ont un rapport érotique à la peinture »