Le faux n’est pas une invention du monde moderne. Dans l’Antiquité, déjà, les Romains créaient de fausses sculptures grecques pour leur valeur marchande. Quant à la Renaissance, le faux était même une preuve de maestria.
Contrairement à ce que l’on pourrait imaginer, l’avalanche actuelle de faux n’est pas nouvelle. « Par le passé, il y a déjà eu des crises d’envergure comparable. La différence, c’est qu’aujourd’hui nous sommes au courant de tout et très rapidement », résume Gilles Perrault, expert en objets d’art agréé par la Cour de cassation. « Et cela crée une certaine psychose. » De fait, le faux a toujours existé ; cela concerne tous les genres, tous les supports et toutes les époques. « Depuis qu’il y a des vrais, il y a des faux parce que les objets d’art ont toujours eu de la valeur », poursuit l’expert. « Déjà dans l’Antiquité, les Romains copiaient les sculptures grecques et les vendaient comme des authentiques, car cela leur rapportait jusqu’à vingt fois plus qu’une copie. » Le cas des faux grecs est d’ailleurs édifiant, car ils possèdent aujourd’hui une valeur inestimable, les originaux ayant quasiment tous disparu. Au Moyen Âge, le faux s’éclipse temporairement, du moins en art. Le statut de l’artiste, apparenté à un artisan, n’incitant guère à la falsification. Or, la tentation de la contrefaçon ne faiblit pas, elle se déplace simplement vers un autre secteur propice et lucratif, les reliques sacrées.
Du génie à l’escroc
À partir du XVIe siècle, le faux refait surface et ne disparaîtra plus. Il s’agit alors de faussaires d’élite dont on loue la maestria : Michel-Ange, Giordano ou encore del Sarto, qui copie Raphaël pour gruger un prélat. « À la Renaissance, les textes qui relatent des affaires de faux sont souvent des anecdotes à vertu exemplaire qui nous renseignent sur le statut de l’art », explique Charlotte Guichard, chargée de recherche au CNRS, auteure du passionnant De l’authenticité. Une histoire des valeurs de l’art (Publications de la Sorbonne). « Il ne s’agit pas de dénoncer mais, au contraire, d’admirer le talent du copiste qui réussit à atteindre le but final de la philosophie de la peinture ; l’imitation de la nature, la mimésis. » Cependant, dès le XVIIe, l’estime s’estompe et la riposte s’organise. Par exemple, Claude Lorrain consigne dans son Liber Veritatis des reproductions de ses peintures et précise le nom des commanditaires. Au XVIIIe siècle, le marché change d’échelle, il devient plus important et plus anonyme. Parallèlement, le faux gagne lui aussi en ampleur, et jette le discrédit sur certains secteurs, comme la peinture italienne ancienne. Une cascade de faux corrompt ainsi le marché et les collectionneurs se tournent davantage vers l’art contemporain, dont les processus d’authentification sont plus aisés. Cette époque est aussi celle où se mettent en place de précieux outils contre la fraude : des textes pratiques, les premiers catalogues raisonnés ainsi que les dictionnaires de signatures. Enfin, la provenance devient également un enjeu, elle est indiquée dans les catalogues des ventes aux enchères, faisant office de certificat d’authenticité.
La course entre l’expert et le faussaire
Depuis, c’est une lutte incessante que se livrent l’expert et le faussaire. À chaque fois que les analyses et les instruments se perfectionnent, les techniques de fraude s’affinent. Par exemple, au XIXe, alors que se constituent de grandes collections publiques et privées, les faussaires privilégient des domaines encore mal documentés comme les antiquités étrusques ou précolombiennes. Tandis que la peinture continue à être plagiée avec des moyens de plus en plus élaborés, tant dans la technique que dans les stratagèmes narratifs… jusqu’à aujourd’hui. Le mot d’ordre est toujours le même : s’adapter et, si possible, avoir un coup d’avance. Certains faussaires osent même soumettre, par des biais détournés, leurs créations à un expert pour savoir si la supercherie est détectable. « Via des intermédiaires, Giuliano Ruffini a ainsi sollicité mon laboratoire à trois reprises pour analyser des tableaux afin de voir si nous arrivions à déceler que les tableaux étaient faux », confie Gilles Perrault. L’expert regrette par ailleurs la « certaine sympathie dans l’opinion publique pour les faussaires qui sont perçus avec complaisance par les médias et le grand public alors que ce ne sont que des escrocs. De plus, il faut savoir que si on ne poursuit pas inlassablement les faussaires, c’est toute l’économie de l’art qui s’écroule ».
Si l’on ne peut que partager son agacement face à un engouement sensationnaliste, force est cependant de constater que la fascination populaire pour les faussaires repose aussi sur des ressorts profonds qui témoignent de notre relation à l’art. « La question du faux est fascinante parce qu’elle nous renvoie à notre propre attente, elle nous pousse aux limites à la fois de notre conception de l’art et de l’authentique », avance Charlotte Guichard. En effet, derrière ces scandales, il y a toujours des récits et des personnages rocambolesques qui incarnent le revers d’une histoire de l’art canonique, souvent mythique et anachronique, basée sur l’original, le chef-d’œuvre et le génie. In fine, « ces controverses nous disent quelque chose de la place de l’art dans notre société, car, finalement, le faussaire nous ramène à la matérialité première de l’œuvre et aux valeurs que nous mettons dans l’art ».
Wolfgang Beltracchi (1951)
Avec son épouse, Hélène, Wolfgang Beltracchi a orchestré une escroquerie estimée à plusieurs dizaines de millions d’euros. Le couple imagine un scénario astucieux. Lui repère dans des catalogues raisonnés d’artistes modernes des œuvres considérées comme disparues et les recrée. Son épouse prétend ensuite en avoir hérité de sa grand-mère. Pour accréditer cette version, elle se grime et pose au milieu de toiles censées avoir appartenu à l’aïeule mais, en réalité, peinte par son époux. Avec cette photographie et d’autres faux documents, Hélène démarche ensuite les experts pour obtenir des certificats d’authenticité. Les Beltracchi réussissent ainsi à tromper d’éminents musées, galeries et maisons de vente. Ils ne seront démasqués qu’à cause de l’utilisation d’un pigment anachronique.
Mark Landis (1955)
Animé par la soif de reconnaissance plus que par le lucre, Mark Landis a offert une foule de faux tableaux, attribués à des peintres célèbres, aux musées d’une vingtaine d’États américains. Ces établissements de taille moyenne, ravis de ces dons inespérés et n’ayant pas les moyens de faire des analyses systématiques, se sont laissés berner par ses copies grossières. Il s’est trahi en offrant deux fois le « même » faux.
Elmyr de Hory (1905-1976)
Difficile de savoir combien de Picasso, de Matisse ou de Modigliani encore exposés sont en réalité de sa main. Elmyr de Hory a en effet réalisé des quantités ahurissantes de pastiches efficaces, à une époque où les catalogues raisonnés n’étaient pas encore constitués. Pour écouler la marchandise, il s’allia avec l’escroc Fernand Legros, dont un des faits d’armes est d’avoir manipulé les douanes américaines. Il fit d’abord courir la rumeur qu’un marchand transportait des œuvres authentiques en les faisant passer pour des copies afin d’échapper aux taxes. Il maquilla ensuite des faux en faisant apposer des signatures inconnues sur des signatures prestigieuses, et passa la frontière avec sa cargaison. Les agents saisirent les tableaux, les étudièrent et les authentifièrent. Legros écopa d’une amende mais repartit avec des chefs-d’œuvre certifiés originaux.
Eric Hebborn (1934-1996)
Dessinateur talentueux, Eric Hebborn a réalisé quantité de feuilles données à Poussin, Rubens ou encore Van Dyck. Il a notamment eu l’idée ingénieuse de créer de fausses esquisses ou ébauches d’œuvres connues. Disposant de stocks de papier ancien et aguerri aux méthodes de fabrication des encres et pigments, il a réussi à duper les plus grands musées et marchands.
André Mailfert (1884-1943)
La supercherie d’André Mailfert est l’une des plus audacieuses, puisqu’il a purement et simplement inventé un mouvement esthétique : l’école de la Loire. Un foyer de création de meubles initié au XVIIIe siècle par un certain Hardy, un ébéniste créé de toutes pièces par Mailfert. Pendant que l’industriel brodait avec brio son histoire, une véritable armada de menuisiers, doreurs et patineurs exécutaient dans l’ombre des centaines de commodes, tables et buffets du siècle des Lumières qui rencontraient un vif succès.
Guy Ribes (1948)
Arrêté en 2005, Guy Ribes a officié comme faussaire pendant plus de vingt ans dans ce qui constitue l’une des plus grosses affaires de faux tableaux modernes en France. Picasso et Chagall figurent sur son tableau de chasse, et surtout Dufy, dont il se vante d’être l’auteur de plusieurs œuvres de son catalogue raisonné.
Guy Hain
Celui qui se faisait appeler le duc de Bourgogne, du nom de sa boutique au Louvre des Antiquaires, a été perdu par sa mégalomanie. Marchand d’art et faussaire, Guy Hain a littéralement inondé le marché de sculptures modernes contrefaites. Il aurait écoulé quelque 6 000 pièces dans des grandes foires et des maisons de vente réputées. À ce jour, seul un tiers de cette production a été retrouvé. Sa cible de prédilection était Rodin, dont il avait réussi à récupérer des plâtres authentiques, mais il a aussi fait exécuter de faux Carpeaux, Barye ou encore Claudel.
John Myatt (1945)
Copiste honnête, John Myatt bascula dans l’illégalité en s’associant avec John Drewe, qui avait monté une arnaque bien rodée. Drewe commence par jouer les mécènes et fait un don important à la Tate Gallery. Prétextant des recherches personnelles il demande à accéder aux archives et y place de faux documents. Des reçus de vente, des références dans des catalogues ou encore des correspondances fictives qui bâtissent le pedigree des tableaux que peint son acolyte. Ainsi, si un client potentiel a des doutes, il trouve miraculeusement toutes les preuves de son authenticité. Comble de l’ironie ; le duo a été confondu en étant trop organisé ! Une spécialiste s’étonna ainsi de trouver une œuvre à l’historique parfaitement documenté, ce qui était incompatible avec la pratique de l’artiste plagié.
Éreinté par la critique, le peintre néerlandais Han Van Meegeren décide de se venger du monde de l’art en produisant de faux Vermeer. La star du siècle d’or n’ayant été redécouverte qu’au XIXe siècle, son corpus est alors encore mal connu. Un éminent expert, Abraham Bredius, est par exemple persuadé qu’il a réalisé des scènes religieuses inédites. Van Meegeren saisit l’occasion et élabore à partir de 1937 des tableaux prétendument du maître de Delft. Ces derniers sont authentifiés par Bredius et achetés à prix d’or par des musées et des collectionneurs, notamment par un certain Hermann Goering. Après la guerre, une enquête est donc ouverte pour démasquer le traître qui a livré ce trésor national à l’occupant. Le nom de Van Meegeren surgit. Arrêté, il passe rapidement aux aveux, face à un auditoire incrédule malgré ses révélations sur les recettes de vieillissement accéléré qu’il a mises au point pour duper les spécialistes. Afin de prouver ses dires, il propose de réitérer son exploit. Placé en résidence surveillée, il peint Le Christ au Temple. Condamné à un an de prison, il ne purgera pas sa peine, puisqu’il décède d’une crise cardiaque quelques jours après le verdict. Théâtral jusqu’au bout.
L’accès à la totalité de l’article est réservé à nos abonné(e)s
Le faux : un concept vieux comme l’art
Déjà abonné(e) ?
Se connecterPas encore abonné(e) ?
Avec notre offre sans engagement,
• Accédez à tous les contenus du site
• Soutenez une rédaction indépendante
• Recevez la newsletter quotidienne
Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans L'ŒIL n°696 du 1 décembre 2016, avec le titre suivant : Le faux : un concept vieux comme l’art