FÉTICHE - Ni toile, ni pinceau. L’atelier de Sheila Hicks est un lieu hors du monde, bien que situé à deux pas de la place de l’Odéon. Il donne sur une jolie cour pavée, calme et arborée. L’artiste, qui porte en majesté ses 82 ans, vous y accueille chaleureusement.
Dans un bric-à-brac invraisemblable où trône une grande table en bois, on repère, çà et là, des cartons remplis de bobines de fil, des écheveaux de laine colorée, un métier à tisser, des nattes ou autres tressages pendus à des poutres, et aussi des paniers ronds contenant quantité de petits ballots ficelés comme des amulettes, patiemment confectionnés des mains de l’artiste à ses moments perdus. Sheila Hicks tisse, coud, brode, entortille, tresse. Elle réalise de subtils tableaux abstraits avec des fils colorés verticalement tendus sur un châssis, de gigantesques structures de nattes emmaillotées, des architectures souples parsemées de liens de couleurs vives. Elle enjambe allègrement les territoires dévolus à l’art et à l’artisanat. Impériale dans sa longue tunique assortie à son regard bleu acier, l’artiste pose sur la table son bien le plus précieux et regarde l’effet qu’il me fait : il s’agit d’un panier d’osier tressé, originaire du Pérou, un peu poussiéreux, de l’époque pré-inca, qui l’accompagne depuis les années 1960 ! Elle l’ouvre et sort lentement, un à un, les petits outils qu’il contient : deux peignes en feuilles de cactus, une quenouille, des cordelettes tressées, des pompons de coca, des bâtonnets entourés de fils et de tissus et des fuseaux pour enrouler et filer des fibres d’alpaga, de vigogne, de lama et de guanaco. Décryptage : « Le panier et ses éléments avaient été enterrés avec le tisserand qui le possédait, sans doute au XIIIe siècle de notre ère. C’était ses outils de travail. J’ai reçu ce cadeau inestimable de mon mari, Enrique Zañartu, qui était sud-américain, et qui me l’a offert pour notre mariage. » Elle poursuit : « C’est un objet sentimental à plus d’un titre. Il me renvoie à mes années d’études à l’université de Yale, où j’ai appris la peinture avec Josef Albers, et suivi des cours sur les civilisations précolombiennes avec George Kubler. C’est à cette occasion que j’ai découvert un livre qui allait changer ma vie : Les Textiles anciens du Pérou et leurs techniques de l’anthropologue français Raoul d’Harcourt, qui avait recensé tous les savoir-faire textiles des artisans précolombiens. J’ai alors décidé de développer ma thèse sur ce sujet. » Et d’évoquer ses nombreux séjours au Pérou, et son admiration pour la simplicité des outils utilisés pour parvenir à des figures graphiques et colorées extraordinairement complexes : « Cette civilisation ancienne possédait déjà le plus vaste éventail de vocabulaire textile », poursuit-elle avec admiration. « Cela révèle une façon de penser sophistiquée. Ainsi, ils maîtrisaient les croisements de fils en deux dimensions, savaient jouer sur les asymétries, imbriquer les motifs les uns dans les autres ou utiliser les fentes pour des effets décoratifs ou fonctionnels. Grâce à leur dextérité, ces artisans parvenaient à réaliser des vêtements, tels des ponchos, à quatre lisières sans interrompre les fils qui étaient tissés horizontalement, verticalement ou diagonalement. » Et de nous inviter à feuilleter ce livre précieux qu’elle garde toujours à portée de main : « Figurez-vous que je suis venue en France, grâce à une bourse d’étude, pour rencontrer son auteur tellement j’avais admiré son travail ! » Pour revenir au petit panier fétiche, Sheila Hicks y tient beaucoup, non seulement parce qu’il a traversé des siècles et des siècles pour parvenir jusqu’à elle, tel un passage de témoin, mais aussi parce que son contenu se présente comme un monde en réduction. Elle dit sans crainte : « C’est un objet chargé. Il m’envoie de bonnes vibrations. J’aimerais qu’il soit enterré avec moi. » Mais celle qui, en septembre dernier, a magnifié les cours du Musée Carnavalet, dont la bien-nommée « cour des Marchands-Drapiers », par des torrents de fils de laine colorés, des serpents de cordes aux tons dégradés, ne reste jamais à ne rien faire de ses dix doigts et confie : « J’aime exploiter la possibilité de chaque matière en travaillant manuellement. Ça active en même temps les yeux et la pensée. Et ça me donne une joie immense ! »
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Le panier pré-Inca de Sheila Hicks
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Cet article a été publié dans L'ŒIL n°695 du 1 novembre 2016, avec le titre suivant : Le panier pré-Inca de Sheila Hicks