La rentrée littéraire n’échappe pas à l’actualité internationale : le terrorisme.
« Rien d’étonnant à cela à vrai dire », remarque dans son éditorial de septembre Julien Bisson, notre confrère du magazine Lire : « la littérature d’un pays ne sert-elle pas de caisse de résonance à sa psyché nationale ? » La littérature comme catharsis sociale, donc. Dans un siècle ou deux, les historiens regarderont tous ces ouvrages comme un témoignage supplémentaire de l’horreur qui nous frappe en plein cœur. Parmi eux, L’homme qui voyait à travers les visages d’Éric-Emmanuel Schmitt [Albin Michel] a pour trame une série d’attentats commis à Charleroi, en Belgique, quand Ni le feu ni la foudre de Julien Suaudeau [Robert Laffont] retrace le parcours de cinq « chasseurs de bonheur » dans les rues de Paris le 13 novembre 2015, jour de l’attentat du Bataclan. Écoutez nos défaites de Laurent Gaudé [Actes Sud] entremêle lui aussi les destins de personnages de fiction (Mariam et Assem, une archéologue irakienne et un agent des renseignements français), mais, cette fois-ci, avec ceux de vrais héros de guerre : le général Ulysses Grant, l’empereur Hailé Sélassié et Hannibal. Dans ce roman, « le plus intelligent de cette rentrée littéraire », selon France Inter, le récit emmène le lecteur de Carthage à Palmyre, en passant par Alexandrie et Calais. Car ce livre est né du rapport de l’auteur aux lieux : « J’avais été profondément touché par l’attentat au Musée du Bardo de Tunis, je ne pouvais pas concevoir que des gens soient morts pour avoir voulu visiter cet endroit magnifique », déclare le prix Goncourt 2004. Dans sa leçon inaugurale du Collège de France en 2006 (« La littérature, pour quoi faire ? »), Antoine Compagnon relevait que la littérature est longtemps restée « la voie royale vers la compréhension d’une culture ». Et pourtant, dit-il, « la littérature elle-même – qu’on dit “vivante” – semble douter parfois de son bien-fondé »… Ce que semble admettre Laurent Gaudé qui lâche cet aveu, terrible : « Est-on utile ? » « Il n’y a pas de livre qui ait empêché un enfant de mourir », a dit Sartre. Espérons alors qu’il fasse de lui un être meilleur.
La rentrée 2016 confirme donc une tendance forte de la littérature « vivante » : l’exofiction. « Késako ? », s’interrogeait France Culture en 2015. Un « dérivé de l’autofiction […] dans la continuité de la “biographie romancée”, “fictions biographiques” et autres “factions” », nous apprend Le Magazine littéraire en septembre. Fort heureusement, l’exofiction ne consiste pas seulement à plonger le lecteur dans l’actualité la plus tragique, mais aussi dans l’art. Le Magazine littéraire croit même déceler cette année l’apparition d’un nouveau sous-genre littéraire qu’il appelle : « exofiction picturale ». Et pour cause, plusieurs romans ont paru dans lesquels les auteurs « se sont glissés dans l’intériorité d’artistes ou de muses réelles ». Ils ont pour héros Monet, Van Gogh, Pierre et Marthe Bonnard, Soutine et encore Soutter, et ont respectivement pour auteur Michel Bernard [Deux Remords de Claude Monet, La Table ronde], Jean-Michel Guenassia [La Valse des arbres et du ciel, Albin Michel], Françoise Cloarec [L’Indolente, Le mystère Marthe Bonnard, Stock], Ralph Dutli [Le Dernier Voyage de Soutine, Le Bruit du temps] et Michel Layaz [Louis Soutter, probablement, Zoé]. Mais d’autres romanciers préfèrent se glisser dans la peau de personnages fictifs, comme Yannick Grannec [Le Bal mécanique, Anne Carrière] qui revêt les habits de Magdalena, fille d’un certain Theodor Grenzberg, « galeriste de peintres fameux […], dont Paul Klee et Otto Dix », et dont le nom resurgit dans le sillage de l’affaire Gurlitt – bien réelle celle-là : un deuxième roman plein d’allant bien documenté, qui fait revivre le Bauhaus et ses illustres professeurs (Klee, Gropius, Kandinsky, Albers…). Difficile de ne pas voir dans cette livraison de nouveaux romans une autre résonance de la «psyché nationale » : la place que notre société accorde aux grands artistes. La bande dessinée n’est d’ailleurs pas étrangère à ce phénomène ; Glénat poursuit sa série « Les grands peintres » avec Courbet, Bosch et Renoir – trente tomes annoncés –, quand Casterman édite le premier tome de son Histoire de l’art en BD… Il faut comprendre que l’histoire de l’art fournit de plus en plus aux écrivains, à travers ses monographies et ses expositions, un matériau de choix. Ainsi n’y a-t-il pas de hasard si plusieurs romans paraissent sur Pierre et Marthe Bonnard au moment où l’on entrevoit que la relation du couple ne fut pas l’idylle vantée… La littérature est-elle « utile » ? Certainement dans le sens où l’entend Alexis Jenni, qui écrit en préambule de son livre Dans l’attente de toi [L’Iconoclaste] : « La peinture sera une forme de périphrase, une série de digressions, chaque tableau sera un miroir ; je trouverai dans la peinture les mots pour dire ce que je ne sais pas dire. » « À vrai dire, pensait Gide dans sa préface de L’Immoraliste, en art, il n’y a pas de problèmes – dont l’œuvre d’art ne soit la suffisante solution. »
L’accès à la totalité de l’article est réservé à nos abonné(e)s
Rentrée littéraire
Déjà abonné(e) ?
Se connecterPas encore abonné(e) ?
Avec notre offre sans engagement,
• Accédez à tous les contenus du site
• Soutenez une rédaction indépendante
• Recevez la newsletter quotidienne
Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans L'ŒIL n°694 du 1 octobre 2016, avec le titre suivant : Rentrée littéraire