FÉTICHE - L’idée de parler de son objet fétiche l’amuse beaucoup. Elle rit souvent aux éclats durant notre échange. Lydie Arickx, petit bout de femme au sourire radieux, réagit au quart de tour, attrape au vol une question, un mot, une suggestion.
Voudrait-elle nous faire croire qu’elle prend les choses à la légère ? Le choix de son objet préférentiel coupe court à cette idée première : « Je vénère ma blouse de travail. Ce n’est pas une blouse de peintre, mais une blouse de chirurgien. Elle est toute maculée de peinture. Je la lave et la relave depuis vingt-cinq ans. Elle m’a été offerte par le professeur Henri Bismuth, spécialiste de la greffe du foie et des voies biliaires à l’hôpital Paul Brousse à Villejuif. » Et de vanter la couleur vert d’eau de cette blouse fétiche, ses attaches nouées dans le dos, sa coupe enveloppante. Elle raconte avoir plusieurs fois assisté à ces longues opérations durant lesquelles on répare les corps : « Je suis fascinée par ce qu’il y a sous la peau, voir comment ça fonctionne à l’intérieur du corps. J’aime regarder les gestes des chirurgiens, scruter par quel bout ils prennent les choses, observer le protocole qu’ils appliquent. » Tout le contraire de sa manière de peindre de grandes toiles expressionnistes montrant les torsions de corps nus, tendus, écartelés, transformés en paysages organiques, tracés au fusain et rehaussés de couleurs, un mixte de dessin, de peinture au doigt et de matière lourde, comme le bitume raffiné, spécialement fabriqué pour elle. « Tout bouge », dit-elle, laissant les couleurs venir animer ses noirs intenses et transformer son écriture de la pulsion, en fresques ardentes. Elle les réalise dans un état proche de la transe, à travers une gestuelle à la fois ample et précise avec, en fond sonore, une musique hard-rock portant sa fureur créatrice à son incandescence. Un rituel qu’elle transforme parfois en performances, comme cette toile de deux cents mètres de long et de trois mètres de haut, réalisée pendant dix jours à Roubaix dans le cadre d’expositions qui lui étaient consacrées. Lydie Arickx marche à l’instinct et ses études à l’École supérieure d’art graphique Penninghen, à Paris, n’y auront rien changé. Elle dit : « C’est le tableau qui vient me chercher. Il suffit que je traverse l’atelier, que la lumière m’accroche. Et alors, il faut que ça sorte, que je plonge tête baissée dans l’inconnu. »
S’ensuit une traversée dans ses propres profondeurs psychiques, une plongée dans ses zones sombres tourmentées par les questions concernant la vie et la mort. Un dédoublement qui fait écho aux opérations chirurgicales qui l’émeuvent et l’inspirent : « Il y a une énorme différence entre ce que l’on perçoit d’un corps à l’extérieur et la grande mécanique de la vie, souligne-t-elle. Une force tellurique traverse les organes, une puissance vivante, palpitante, qui fait écho aux entrailles de la terre. » Elle évoque, bien sûr, les tableaux de Géricault, de Soutine, ceux de Caravage, qui, comme elle, fréquentaient les morgues pour étudier l’anatomie des profondeurs. Elle parle également des artistes contemporains avec lesquels elle se sent des affinités, metteurs en scène, comme elle, de cadavres exquis, des grandeur et misère de la condition humaine, tels, par exemple, le peintre Jean Rustin, le photographe Joel-Peter Witkin ou la sculptrice Berlinde de Bruyckere. Mais celui dont elle vénère l’esthétisme clair-obscur et l’univers trouble est le cinéaste David Lynch. Pour revenir à sa blouse de prédilection, ce vêtement qui la protège tout en la propulsant dans un autre monde, elle déclare : « L’artiste qui jette ses tripes sur la toile est le chirurgien de lui-même, il va creuser, creuser au plus profond de ses émotions, jusqu’à toucher de près la mort et renaître. Il s’agit d’une prise de risque abyssale. Chaque fois la question se pose : va-t-on y retourner ? » Sa réponse est oui : « Je sors de là en pleine forme. C’est quand je ne peins pas que je suis fatiguée ! », déclare l’artiste dans un nouveau grand éclat de rire !
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La blouse de travail de Lydie Arickx
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Abonnez-vous dès 1 €une performance à la Conciergerie, du 9 septembre au 9 octobre, et une installation à la Chapelle expiatoire du 30 septembre au 6 novembre 2016. Conciergerie, 2, boulevard du Palais, Paris-1er. Tous les jours de 9 h 30 à 18h. Tarifs : 8,50 et 6,50 €. Chapelle expiatoire, 29, rue Pasquier, Paris-8e. Ouverte du jeudi au samedi de 10 h 30 à 12 h 30 et de 13 h 30 à 18 h. Tarifs : 5,50 et 4,40 €. Commissaire : Olivier Kaeppelin. www.paris-conciergerie.fr
Cet article a été publié dans L'ŒIL n°693 du 1 septembre 2016, avec le titre suivant : La blouse de travail de Lydie Arickx