Art moderne

Marc Chagall, à livre ouvert

Par Colin Lemoine · L'ŒIL

Le 24 juin 2016 - 516 mots

À Landerneau, Chagall est exposé sous l’angle de la poésie. Une première dans le Grand Ouest pour une approche résolument nouvelle.

C’est une exposition nécessaire et grande. Nécessaire, parce qu’elle est la première, ainsi que le rappelle l’hôte des lieux, Michel-Édouard Leclerc, dans son entretien avec le commissaire Jean-Louis Prat, à présenter Marc Chagall (1887-1985) dans le Grand Ouest. Grande parce qu’elle convoque des pièces inouïes, prêtées par de prestigieuses institutions muséales, et les articule avec force intelligence et force nouveauté. Plutôt que d’affronter la polysémie d’une œuvre rétive à toute classification, l’exposition affronte l’un des nombreux versants de la montagne Chagall, lequel permet, par ricochet, de pénétrer les adrets et les ubacs, les zones d’ombre et de lumière. Ce versant, c’est la poésie. Et la poésie ne cessa d’obséder Chagall-le-déraciné, cet homme qui abandonna la Russie pour la France puis pour les États-Unis, ce juif errant qui traversa l’Histoire et le globe sous le joug de son désir ou de la barbarie.

Et le pays de Chagall, c’est la langue, celle qui arrime, celle qui permet de comprendre et d’échanger, de vivre et survivre. Ce n’est donc pas un hasard si ce compagnon de route des littérateurs – Blaise Cendrars (Dix-neuf Poèmes élastiques, 1919) et Guillaume Apollinaire (Ondes, Calligrammes, 1918) lui réservent des lignes douloureusement sublimes – fut sollicité par tant d’écrivains et d’éditeurs pour orner des projets…

Arche de Noé
Commandée par le marchand Ambroise Vollard, l’illustration des Âmes mortes, de Nicolas Gogol, voit Chagall travailler trois années durant à l’établissement des cent sept eaux-fortes grâce auxquelles il exhume en noir et blanc sa Russie bariolée, mais perdue. Publié par Tériade en 1948, l’ouvrage est un écrin bibliophilique, à l’image des Fables de La Fontaine, elles aussi éditées en 1952 par ce dernier bien qu’elles fussent impulsées par Vollard, allumeur génial des plus grandes mèches du siècle. Naturellement, Chagall illustra la Bible. Naturellement, Vollard lui en passa commande (1930) ; naturellement, Tériade édita ce chef-d’œuvre du genre (1956), enfanté par un voyage fondateur en Terre sainte. Imagier de feu, artifice sans pareil, Chagall ne cesse alors d’habiter les livres, depuis le Décaméron de Boccace (1950), jusqu’aux Antimémoires de Malraux (1970), en passant par Daphnis et Chloé de Longus (1952).

Rien ne lui résiste. Partant, les quelque trois cents œuvres réunies prouvent combien, pour Chagall, l’illustration n’est pas une distraction badine mais bien un art majeur, un creuset où naissent des formes souveraines qui, bientôt, infiltreront la peinture. Chevaux, violonistes, clowns, saltimbanques, oiseaux, anges et soleils : le livre est une arche de Noé où le bestiaire chagallien s’élabore, s’ébroue et s’anime.

En 1972, Louis Aragon énonce ainsi le miracle : « Peindre. Un homme a passé sa vie à peindre. Et quand je dis sa vie, entendez bien. Le reste est gesticulation. Peindre est sa vie. Que peint-il ? Des fruits, des fleurs, l’entrée d’un roi dans une ville ? Tout ce qui s’explique est autre chose que la vie. Que sa vie. Sa vie est peindre. Inexplicablement. » Inexplicablement ? Un peu moins depuis cette exposition majeure, entre les lignes et les pages.

« Chagall, de la poésie à la peinture »

Du 26 juin au 1er novembre 2016. Fonds Hélène et Édouard Leclerc pour la culture, aux Capucins, Landerneau (29). Ouvert tous les jours de 10h à 19h de juin à août, jusqu’à 18h de septembre à novembre.
Tarifs : 8 et 6 €.
Commissaire : Jean-Louis Prat.
www.fonds-culturel-leclerc.fr

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Cet article a été publié dans L'ŒIL n°692 du 1 juillet 2016, avec le titre suivant : Marc Chagall, à livre ouvert

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