« La peinture sans couleur », l’exposition de quatre-vingt-dix Achromes de Piero Manzoni au Musée cantonal des beaux-arts de Lausanne, aurait également pu s’intituler « La peinture sans peinture », tant l’artiste italien disparu prématurément à l’orée de sa trentaine avait exploré bien des supports pour ses tableaux. Tout a commencé en 1957, alors qu’à Milan, Yves Klein laisse tout le monde pantois en exposant des monochromes bleus de taille identique, vendus à des prix différents. Le jeune Manzoni, inspiré par cette idée hors norme, se lance alors dans une entreprise encore plus radicale, un an avant la fameuse exposition vide du maître français chez Iris Clert. Ses tableaux ne porteront plus la trace du pinceau, ne sacraliseront plus la gestuelle de l’artiste. Il ne marchera pas non plus sur les traces des White Paintings de Robert Rauschenberg réalisées au Black Mountain College en 1951 sous l’influence du zen. Manzoni, en plein avènement de l’abstraction lyrique européenne, réfractaire à la psychologie du geste, à la mythologie du génie artistique, lance un défi à la représentation et à la peinture. L’avenir sera pour lui achrome, ni monochrome blanc, ni peinture apposée. Pour ce faire, cet autodidacte venu de la philosophie plonge ses toiles dans du kaolin liquide dont on se sert habituellement dans la fabrication de la porcelaine. En imbibant le support du tableau, celui-ci abandonne son statut de surface et devient matière car, en séchant, la gravité agit sur la masse qui finit par plisser. Avec des formats qui peuvent atteindre jusqu’à 1,50 m de largeur, ces plis offrent une densité inédite à la peinture qui se meut en sculpture, hésite entre plusieurs identités. C’est que Manzoni sait parfaitement brouiller les cartes, lui à qui l’on doit la Merde d’artiste en boîte de conserve vendue au prix de l’or, de signer des corps, de capturer un Souffle d’artiste dans un ballon. Manzoni ne déclinera ses tableaux de kaolin qu’au début de sa période achrome, puis il se frottera à une multitude d’autres supports : petites boules de coton hydrophile, carrés de tissu, fausse fourrure, fibre de verre, etc. Les arrangements varient, de l’organisation orthonormée des éléments à des boules de matière hirsute encadrées comme des reliques ; quelque trois cents œuvres participent ainsi de cette aventure de l’achrome qui occupa Manzoni jusqu’à sa mort, en 1963. Une fulgurance qui n’a pas perdu une once de sa provocation.
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Au-delà du blanc, Piero Manzoni
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Abonnez-vous dès 1 €Musée cantonal des beaux-arts, place de Riponne 6, Lausanne (Suisse)
www.musees.vd.ch
Cet article a été publié dans L'ŒIL n°691 du 1 juin 2016, avec le titre suivant : Au-delà du blanc, Piero Manzoni